temoignages-portraits - 1939-1945

Publié le 20 Octobre 2013

 

Dargols Bernard 2

Juin 1944 : Bernard Dargols et sa jeep « La Bastille ».

 

8 août 2013. La Garenne-Colombes. Rue de l’Aigle. Beau nom quand on est citoyen américain, et que le symbole de son pays est un aigle (un pygargue pour être plus précis) à tête blanche !

 

Bernard Dargols est donc Américain, depuis qu’un jour de 1944 son supérieur hiérarchique lui a proposé, tout en conservant sa nationalité française. Le parcours jusqu’à cette cérémonie n’avait pas été simple. Celui qui s’en suivit, encore moins…

 

 

Machines à coudre.

 

« Je suis né à Paris en mai 1920. Cela a son importance. Non pas la date en tant que telle, mais parce qu’en France, à cette époque, cela signifiait être appelé à l’armée 20 ans plus tard. En mai 1940 !

 

Ma famille était dans la machine à coudre. Mon père tenait un atelier d’importation de machines destinées à l’industrie, qui se situait au numéro 8 de la rue des Francs Bourgeois, en plein quartier du Marais. Il était la tête de pont de fabricants américains tels que Dearborn ou Consolidated. Cette affaire marchait bien. Après moi, mes parents eurent deux autres garçons.

 

A l’école, je n’étais pas le meilleur. Pour moi les résultats étaient, certes importants, mais sans y accorder plus de valeur qu’il ne le fallait. J’affectionnais particulièrement le calcul mental – et ma mémoire a toujours été excellente – et l’anglais. L’une comme l’autre de ces matières me servira plus tard ! En attendant, je collectionnais les prix de camaraderie et cela ne m’empêcha pas de poursuivre ma scolarité au lycée Turgot, préparant les Arts et Métiers. Je me destinais à être Gadzarts.»

 

 

A NYC.

 

« A l’âge de 18 ans, mon père me convoqua dans son bureau. Il m’expliqua que j’étais l’aîné et de ce fait devait un jour reprendre l’affaire familiale. Il n’était pas question d’être un « fils à papa ». Je l’entends encore me faire la morale sur le principe du travail et de l’apprentissage et non du legs et de la cuiller en argent ! Pour se faire, il s’était mis d’accord avec ses fournisseurs et partenaires américains : je partais pour une année de stage aux Amériques. Ainsi, je connaîtrais le métier et serait plus à l’aise en anglais.

 

Imaginez donc un peu : moi le jeune titi parisien, rêvant devant les photographies de la Grosse Pomme, écoutant la musique de jazz, ne concevant le cinéma qu’Américain, j’étais en plein rêve. J’allais aux Etats-Unis ! Le monde s’ouvrait devant moi.

 

Je pris le bateau Paris pour New York. Après un passage rapide à Ellis Island – je n’étais pas considéré comme émigrant – je pris mes quartiers chez nos fabricants et reçus un accueil formidable de la part des ouvriers. A l’époque, comme aujourd’hui encore, dire qu’on était Français et qui plus est de Paris, attirait spontanément la sympathie. Et puis, mes cours d’anglais, et la qualité remarquable de mon professeur du Turgot, me permirent de familiariser de suite, même si mon accent « so british » était quelque peu moqué. Dans un premier temps, je fus hébergé chez de lointains cousins, installés dans le borough de Brooklyn. Puis je déménageai dans Manhattan, dans la 108ème West.

 

Mai 1940 : j’ai vingt ans et la France est en guerre. Je suis appelé par le consulat de France aux Etats-Unis. Je dois passer une visite médicale afin de savoir si je suis apte au service national. Je dois une année à la République et pas question de s’y soustraire. « Ne bougez pas, on vous appellera » me dit-on après les résultats positifs des examens. J’attends toujours… ».

 

 

France Libre ou US Army ?

 

« Un mois plus tard, à l’occasion d’actualités vues au cinéma, je prends conscience de l’effondrement de mon pays. Pis que cela ! A Montoire, dans le centre de la France, le maréchal Pétain vient saluer Adolf Hitler. C’en est trop. Non seulement indigné, j’avais aussi le désir ardent de ma battre pour mon pays. Après quelques renseignements, je sollicite un rendez-vous auprès du représentant new-yorkais de la France Libre. Il s’agissait du colonel Alexandre de Manziarly. Un homme charmant, amputé d’une jambe pendant la Première Guerre mondiale. Il m’explique que la France Libre a besoin d’hommes comme moi. Je peux partir dès que possible en Angleterre et je serai bien accueilli. Je pourrais être rapidement nommé officier, tant le manque d’hommes fait défaut aux troupes du général.

 

Je m’en retournai auprès de mes amis et leur expliquai la situation. Ils n’appuyèrent pas ma démarche, expliquant pour l’un que les rapports entre de Gaulle et Churchill étaient médiocres – ce qui ne laissait augurer rien de bon – et pour l’autre qu’entre soldats gaullistes et officiers vichystes, cela sentait bien un parfum de guerre civile ! J’attendis et continuais mon travail.

 

Néanmoins convaincu par la force du général de Gaulle, je fondis une association, la « Jeunesse France Libre » pour soutenir son action. La cotisation était de 25 cents et tous les gens que je connaissais étaient impitoyablement chassés pour devenir membres ! Parmi eux, se trouvait une jeune française, nommée Françoise… Mon soutien se matérialisa également par une lettre d’encouragements que j’écrivis sous le nom de Bernard Darvil – ma famille étant restée à Paris, pas question pour moi de la mettre en danger – et le grand journal New-York Times la publia !

 

Au lendemain de l’attaque japonaise sur Pearl Harbor, le 7 décembre 1941, le président Franklin Roosevelt déclara la guerre au Japon. De ce fait, les Etats-Unis ayant ouvert la conscription, mes camarades n’hésitèrent pas : ils signèrent presque tous. « Pourquoi ne viendrais-tu pas avec nous ? » me dirent-ils ? De France, j’avais quelques nouvelles via la Croix Rouge établie en Suisse. Les restrictions pour les juifs se multipliaient. Nous sommes juifs. Peu portés sur la religion et plutôt laïcs. Mais pour l’Etat français, peu importait qu’on soit pratiquant ou laïc : on était d’abord juif. Plus question pour moi de tergiverser. Je signais mon engagement dans l’armée américaine. »

 

 

Dans l’US Army.

 

« Au début de 1943, deux choses étaient essentielles pour moi : faire venir ma famille aux Etats-Unis et poursuivre mon engagement. Mon père et mes frères réussirent à fuir la France et passer par Cuba. Ils y restèrent quatorze mois car les autorités américaines exigeaient la constitution de dossiers très complexes – et complets ! – et cela nécessitait des sommes d’argent conséquentes. Les dirigeants de firmes que nous représentions en France prêtèrent les montants exigés à mon père, et lui dirent : « Tu nous rembourseras quand nous aurons gagné la guerre ». Il le fit, au dollar près !

 

J’intégrai le Fort Dix, centre militaire du New Jersey où je fis mes classes pendant plusieurs mois, puis on m’envoya au Camp Croft en Caroline du Nord où je fus nommé sergent-chef à la Military Intelligence Services, que l’on peut résumer aux termes de « Service des renseignements Militaires ». Elle était composée de trois sections : la première regroupant les Américains d’origine allemande ; la deuxième, faite pour l’interprétation des photographies aériennes – en relief ! – prises en Europe et la troisième, composée des éléments chargés d’interroger les civils français. Nous devions tout apprendre par cœur : le nom des divisions allemandes, leurs compositions, leur armement…

 

Tout cela me passionnait mais je commençais à douter de mon départ pour l’Europe. D’autant que plusieurs de mes camarades se battaient déjà dans le Pacifique. Et puis, un jour, nous étions en décembre 1943, je reçu un ordre : j’étais envoyé en Angleterre ! C’était sûr : tôt au tard, je reverrais Paris et la Normandie ! J’embarquai sur le Queen Elisabeth et j’arrivai en Ecosse quelques semaines plus tard. De là, je partis pour le Pays de Galles, où se trouvait mon camp d’entraînement. J’y restai près de six mois. Mon rôle consistait à enseigner « La France » aux soldats US !

 

A la veille de juin 1944, mon supérieur me proposa de devenir citoyen américain, sans pour autant perdre ma nationalité française : « Si tu restes Français, me dit-il, avec ton uniforme US, et que les Allemands te prennent, alors il n’est pas impossible que tu finisses fusillé ! Si tu es Américain, alors ils te considéreront comme un soldat et ils traiteront comme tel ». Je n’hésitai guère plus de quelques secondes ! Avec mon grade de sergent-chef, on me confia deux jeeps, une remorque et six gars à diriger. J’étais rattaché à la prestigieuse 2ème division d’infanterie américaine. »

 

 

In the « Indianhead » Infantry Division.

 

« Forte de 13.000 hommes, la Indianhead – son écusson représente une tête d’Indien – a été formée par le général Pershing, en France, en 1917. Elle a combattu à Bois-Belleau, à Saint-Mihiel et sur la Marne en 1918.

 

En juin 1944, nous n’étions pas au courant de tout, loin s’en faut, mais on se doutait de quelque chose à voir l’accélération des préparatifs. Nous savions que nous allions prendre le bateau – pour la France ? Pour la Belgique ? – et que ce ne serait pas une croisière. Le 5 juin, on nous fit monter dans un bateau – un Liberty ship – au port de Cardiff. Nous étions tous pétrifiés de peur. Mais quand on a peur à plusieurs centaines d’hommes, on trouve toujours un moyen de se réconforter, d’imaginer qu’on va s’en sortir. Au départ, notre bateau était seul. Et nous restâmes trois jours en mer, mais au fur et à mesure que nous approchâmes des côtes françaises, ce furent des milliers de bateaux qui s’offrirent à nos vues !

 

Le 8 juin au matin, une formidable canonnade commença. Notre commandement savait que les Allemands, bousculés par les premières vagues du 6 juin, avaient reculés de près de 3  kilomètres. Mais un retour est toujours possible. On nous fit monter dans des barges de débarquement et quelques instants plus tard, je retrouvais le sol de France, à Saint-Laurent-sur-Mer, sur la plage que nous appelions Omaha Beach ! »

 

 

La campagne de France.

 

« Le quartier-général de la division fut installé dans le village de Formigny. Mais auparavant, je fus appelé par le colonel Christiansen, chef du G2, l’unité de renseignement. Avec ma jeep et un MP (« Military Police »), je devais entrer dans Formigny et interroger les habitants : « Les Allemands sont-ils encore dans le coin ? Loin ? Près ? Combien sont-ils ? Demandent-ils à manger ? Ont-ils de l’argent pour payer ? Quelles sont les unités vues ou aperçues ? Quand ils bivouaquent, à quelle heure se lèvent-ils ? Où se trouvent leurs réserves de munition, leurs dépôts de carburant ?… ». En fonction des renseignements que je rapportais, des décisions étaient prises. Ainsi, notre seule jeep pénétra, au pas, dans le village. Nous n’en menions pas large… Aujourd’hui, la petite route que nous avions empruntée de la plage à Formigny porte mon nom !

 

Plus tard, on me demanda « d’ouvrir » de même les villages de Trévières, Cerisy-la-Forêt, Saint-Georges-d’Elle (près de Saint-Lô), Brétigny… Tout cela en direction de la Bretagne. A chaque fois, je cherchais la ferme dont les bâtis étaient les plus grands. Normalement, c’étaient celles qui pouvaient abriter le plus grand nombre de soldats. A chaque fois, je reçus un accueil délirant : « On vous attendait depuis si longtemps ! ». Pensez-donc : un soldat américain, parlant parfaitement le français, qui conduit une jeep appelée La Bastille, qui distribue du chocolat et des chewing-gums à qui veut bien ! J’étais moi aussi en plein rêve.

 

Par la suite, la division pris la route de Brest qu’une armée allemande tenait fermement. Les combats durèrent plus d’un mois, entre août et septembre 1944. Puis, toujours, dans le cadre du G2, notre campagne nous porta à Bastogne en Belgique. Mais là, pas de Français à interroger : les habitants ne parlaient que l’allemand ! Aussi, je fus muté sur Paris, dans les anciens locaux de la Kommandantur, place de l’Opéra… Je profitai de mon passage dans la capitale pour visiter ma mère : quatre longues années que je ne l’avais vue… Ma pudeur m’interdit d’en dire plus. »

 

 

Retour aux USA.

 

« Janvier 1946 : je reçus mon ordre de démobilisation. Mais les formalités étaient à remplir à Fort Dix. Je suivis les ordres : bateau à Marseille et retour aux USA. Je retrouvais mon point de départ, puis ma famille à New-York et notre association la « Jeunesse France Libre ». Je retrouvai également la jeune et belle Françoise… que j’épousai quelques semaines plus tard à Manhattan !

 

Retour en France, où nous reprîmes tous ensemble, notre vie et l’atelier laissé en sommeil pendant ces années terribles. Pas tous d’ailleurs. Plusieurs de mes oncles et tantes avaient été déportées et n’étaient pas rentrés des camps hitlériens.

 

Avec Françoise, nous eûmes trois enfants, une fille aînée, professeure d’anglais, notre cadette, professeure de français à New-York et notre fils, médecin à Paris, au sein de l’association SOS Médecins.

 

L’atelier de la rue des Francs Bourgeois se portait bien et notre activité se développa. Associé avec l’un de mes frères, il reprit l’affaire à mon départ en retraite en 1985 ».

Dargols Bernard

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Publié le 3 Septembre 2013

 

La Garenne-Colombes-20130525-00134

Années 1930 : Roger Poulet à l’Ecole Saint-Joseph de La Garenne-Colombes (derrière et à gauche de l’abbé).

 

Samedi 25 mai 2013. Nous rencontrons Monsieur Roger Poulet qui habite la commune de La Garenne-Colombes.

 

Un gamin parisien.

« Je suis né à La Garenne le 21 janvier 1917. Je vous laisse compter et je sais que cela en fait pas mal au compteur ! Nous étions alors en pleine guerre. La bataille de Verdun venait d’être remportée. D’ailleurs mon père était au front. Comme il avait une formation d’écuyer, les chefs le placèrent au débourrage et au dressage des chevaux. Il commença par des chevaux de l’armée française et par la suite on lui en confia du contingent américain. Tout se passait bien jusqu’au jour où il fut chargé et renversé par un cheval : réformé !

 

Après la guerre, il entra chez De Dion-Bouton, qui était alors un constructeur de moteurs et d’automobiles remarquable. Il commença comme simple ouvrier pour finir chef d’atelier. Quelques années plus tôt, il avait rencontré ma mère, qui travaillait en tant que domestique dans une maison bourgeoise.

 

Me voilà donc, gamin, dans les rues de La Garenne. Et ce n’est rien de dire que la ville a bien changé depuis. Fils unique, je suivis une scolarité somme toute normale pour l’époque, si ce n’est qu’elle fut pour une grande partie religieuse. Placé à Saint-Joseph, auprès d’un maître d’école extraordinaire, l’abbé Rouillau, j’obtins assez facilement mon certificat d’études. De là, entrée dans la vie active à travers l’apprentissage et je devins tailleur. En ce temps-là, il y en avait quinze à Courbevoie et tout autant à La Garenne-colombes. »

 

Une « drôle de guerre ».

« En 1937, je fus appelé pour faire mon service militaire. Nommé au 23ème RIF (régiment d’infanterie des frontières), dans la forteresse d’Haguenau, mon temps fut prolongé à la veille de la déclaration de la Seconde Guerre mondiale. Une fois par mois, pour nous dégourdir les jambes, nous faisions une marche de 15 km, avec tout le barda sur le dos. En 1939, je fus mobilisé en Alsace, à Bischwiller. C’est là que je vécut, comme mes camarades la « drôle de guerre », selon l’expression du journaliste Roland Dorgelès, qui s’y connaissait en guerre !

 

Comme cela est bien connu, la Ligne Maginot ne servit pas à grand-chose : les Allemands attendirent les beaux jours et passèrent à la fois par la Belgique et les Ardennes, réputées infranchissables (« Tu parles ! »). Ma section ne s’attarda pas à la forteresse – il y avait longtemps que nous avions été dépassés par les forces allemandes – alors, fort l’honneur, nous combattîmes quelques jours dans les Vosges. Un jour pas comme un autre, nous fûmes encerclés. Nous devenions ce que tout le monde appelait des « PG » : des prisonniers de guerre. Les Allemands nous conduisirent sur Strasbourg et de là nous primes le train pour Nuremberg ».

 

Prisonnier en Allemagne puis en Pologne.

« Stalag 13A, Commando 2700, tel était ma nouvelle unité. J’avais indiqué mon métier dans le civil et je fus ainsi envoyé à Der Schuhfabrik (la fabrique à chaussures) où l’on me demanda de gérer la réfection d’uniformes de la Wehrmacht. On les passait par paquets de 10 dans une grande chaudière et on remplaçait ce qui faisait défaut : boutons, fermetures, …

 

On couchait au 5ème étage de l’usine et le matin on prenait le petit-déjeuner au rez-de-chaussée. Les mois passant – nous étions déjà en 1941 – et comme j’étais violoniste, avec des camarades nous montâmes une petite troupe de Théâtre aux Armées. Plusieurs Allemands trouvaient que c’était une bonne idée et nous encourageaient. Ils n’étaient pas tous des salauds ! A cette époque, j’étais parfois aussi employé au grand théâtre de Nuremberg en tant que machiniste. Et puis vint la catastrophe…

 

Evénement qui commença pourtant si bien. J’avais repéré une jeune allemande, superbe. Elle ne semblait pas non plus insensible à mon charme de « titi parisien ». Alors, ce qui devait arriver arriva bien sûr. Et de plus je me fis prendre la main – si je puis dire – dans le sac !

 

La sentence fut sévère : « Attendu que le prisonnier de guerre français, Poulet Roger, matricule 69.045 au Stalag XIII, est accusé, étant suspect, d’avoir désobéi continuellement aux ordres, attendu qu’il entrait en relations coupables avec M.H., épouse âgée de 23 ans, attendu qu’il l’embrassait une fois dans la cantine, attendu qu’ils avaient convenu de se rencontrer sur un terrain sportif, et qu’ils (…), alors par ces faits et ces motifs, le prisonnier de guerre français Poulet Roger est renvoyé devant le conseil de guerre ». Et c’est ainsi que je me retrouvai en prison à Graudenz (aujourd’hui Grudziadz) dans le nord-ouest de la Pologne, sur le fleuve Vistule. Je n’en menais pas large…

 

Mon métier me sauva encore une fois. Nous étions 6 par cellule et nous étions engagés dans divers travaux. Je fus muté dans un atelier de couture, ou nous devions rapiécer des uniformes. Je résistais comme je pouvais et ce fut un miracle que je ne pris pas une balle. Une fois, un officier me surpris en train de cisailler des vestes : deux semaines de cave ! Je m’y fis, comme on se fait à tout ».

 

La grande marche.

« Le 21 janvier 1944, alors que je fêtais mes 27 ans, un ordre d’évacuation nous mit dehors des baraques, en colonnes par quatre. Nous ne savions pas grand-chose, mais on entendait bien parfois le canon tonner au loin. A voir les têtes de nos gardiens, les vainqueurs avaient changé de camp. Nous sortîmes avec ce que nous avions sur nous et tant mieux pour ceux qui étaient bien chaussés. Et malheur aux faibles, aux malades, aux chétifs, à ceux qui n’avaient pas ou plus de chaussures. Sous la conduite de soldats de la Wehrmacht, nous entamâmes une marche de plusieurs centaines de kilomètres. On commença par traverser la Vistule, comme l’avaient fait 132 ans plus tôt les soldats de la Grande Armée de l’Empereur. Evidemment, nous laissâmes rapidement derrière nous des gars qui avaient les pieds gelés, d’autres qui se vidaient du fait de la dysenterie. On mangeait ce qu’on trouvait, parfois ce qu’on nous donnait, et bien souvent ce furent des pommes de terre.

 

Le soir, nous étions regroupés dans des chambrées de 50 ou 60 gars, et il y avait de tout là-dedans. Les microbes s’en donnaient à cœur joie. Une nuit, nous fûmes réveillés par les hurlements d’un prisonnier : gris d’appendicite aigüe. On partit au petit matin, le laissant là, agoniser, à la merci du premier venu.

 

Les soldats allemands relâchaient de plus en plus la surveillance. Certains désertaient, d’autres paraissaient sans courage. La morgue du début était bien loin. Nous étions par groupes de 100 ou 200 soldats. Un jour, alors que nous étions proches du lac de Constance – nous avions bien traversé toute la Pologne et toute l’Allemagne soit plus de 1.000 kilomètres – je décidai avec deux camarades qu’il était temps de foutre le camp ! J’avais encore en tête quelques leçons de géographie : si la Suisse n’était pas loin, Strasbourg non plus ».

 

L’évasion.

« La chance fut toujours avec nous. Nous partîmes d’un coup, sans nous retourner. Après quelques heures de marche, nous arrivâmes dans un petit village quasi déserté par ses habitants. Dans une grange, nous trouvâmes des vêtements militaires. Cela pouvait être utile et c’était de toute façon mieux que nos frusques usées, déchirées et déguenillées. Un peu plus loin, dans une ferme, une dame allemande nous donna deux ou trois bricoles à manger. Plus tard, dans un autre village, nous tombâmes sur un vieux garage, à peine moins âgé que son propriétaire. Une voiture de marque Adler trainait là. Je ne sus jamais si mon audace, nos quelques mots d’Allemand ou nos uniformes, ou tout bonnement la lassitude du gars, tant est si bien qu’il nous remit le véhicule en état de marche. L’un de mes camarades ayant trouvé un peu d’essence dans un bidon – encore une fois, la chance était avec nous – nous pûmes quitter l’endroit, et direction plein ouest vers la frontière française.

 

Tout au long de notre périple, nous rencontrâmes beaucoup de monde, mais sans jamais être inquiété. Il régnait sur les routes un bazar indescriptible : des militaires, des civils, des matériels étaient laissés à l’abandon dans des fossés…Après quelques temps, nous vîmes une colonne de soldats US. Nous nous mîmes à hurler nos qualités de prisonniers français. Notre équipée amusa les Américains, qui nous indiquèrent la direction à suivre. Nous étions alors en avril 1945. Mais franchir la frontière pour entrer en France fut une toute autre histoire : nous fûmes arrêtés par les Français pour port illégal d’uniformes, vol de voiture, j’en passe et des meilleures ! Deux jours de prison que dura la plaisanterie.

 

Le 5 mai 1945, on nous libéra et nous prîmes un train pour Paris. A la gare de l’Est, un convoi nous emmena directement au cinéma le Rex, sur les Grands boulevards, où nous passâmes des formalités administratives. Enfin, le 7 mai, je franchis le portail de la maison familiale, quittée sept années plus tôt. Près de 70 ans après, je peux encore décrire la tête que fit maman ! Le lendemain, avec les copains, je fêtais la fin de la guerre sur les Champs-Elysées et le 9 mai, j’étais de retour chez mon patron pour reprendre mon travail de tailleur.

 

Travail que j’exerçai en tant qu’artisan pendant quelques années. Mais l’URSSAF ayant eu raison de mes économies, je quittai l’artisanat pour entrer d’abord chez Armand Thiery puis dans la maison Burton, où je terminai ma carrière en tant que responsable technique des prises de mesures. Auparavant, je m’étais marié et nous eûmes deux belles filles ».

 

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Publié le 16 Septembre 2012

 

Mont Valerien - 11-2008-Lysiane Tellier

Mont Valérien – Novembre 2008 : Monsieur Roger Karoutchi, alors ministre en charge des Relations avec le Parlement, Monsieur le préfet des Hauts-de-Seine et Madame Lysiane Tellier.

 

Le conseil d’administration départemental de l’Union Nationale des Combattants s’est réuni le jeudi 5 avril 2012. A cette occasion, le président Joseph Muller a tenu à rendre hommage à Madame Lysiane Tellier, pour son travail au sein de l’UNC 92 – et du Souvenir Français de Bourg-la-Reine – et son passé de résistante :

 

« Permettez-moi de vous présenter quelqu’un que vous ne connaissez pas. Il s’agit du sous-lieutenant Bourguignon, alias Bob dans les Forces Françaises de l’Intérieur (FFI). Le sous-lieutenant Bourguignon est officier de la Légion d’honneur, médaillé militaire, croix de guerre 1939-1945 et médaillé de la Résistance française.

 

Fin 1942, Bob établit des contacts avec le créateur du maquis Lagardère qui était son professeur d’escrime puis avec le commissariat de Châtellerault qui fabriquait de faux-papiers d’identité pour les réfractaires au Service du Travail Obligatoire (STO). Il est chargé du renseignement et est agent de liaison entre les groupes de résistants. Bob effectue les franchissements de la ligne de démarcation dans la Vienne, vers Chausigny, afin de conduire les jeunes dans les forêts de l’Indre sous le prétexte fallacieux de fabriquer des charbons de bois. Il contrôle et ravitaille ces groupes en vue de former le maquis.

 

Début 1944, Bob prend contact dans l’Indre avec un officier de l’armée de l’Air recherché par la milice. Il lui fait passer la ligne de démarcation pour le faire rentrer en zone occupée où il sera caché chez les parents de Bob jusqu’au Débarquement ! Ensemble, ils rejoindront le maquis appelé Chouan. Dans ce maquis, le sous-lieutenant Bob s’investit dans l’organisation et les liaisons. Il participe aux combats de Coussay-les-Bois, Lussac-les-Châteaux et Chausigny en s’occupant des blessés. Le 25 juillet 1944, sous le feu violent de l’ennemi, il réussit à évacuer les blessés graves, en particulier le lieutenant commandant le maquis. Cela vaut au sous-lieutenant Bourguignon une citation à l’ordre de la division avec attribution de la croix de guerre 1939-1945. Il lui revient en pénible obligation de prévenir du décès de leurs proches, les familles des tués au combat.

 

Malgré la libération d’une grande partie du territoire, des poches de résistances allemandes subsistent dans plusieurs endroits. Bob part avec son groupe combattre sur le front de Saint-Nazaire jusqu’à la fin de la guerre. Il obtiendra la médaille de la Résistance française en 1946 et travaillera au 5ème bureau du ministère de la Guerre. Malheureusement, suite à la vie dans le maquis, ses poumons ont été atteints et il est opéré d’un pneumothorax et passe deux ans en sanatorium suivis d’une mise en congés maladie jusqu’en 1952 et d’une retraite anticipée avec pension militaire d’invalidité.

 

Je tenais, en ce jour, à vous présenter le sous-lieutenant Bourguignon, alias Bob, qui n’est autre que notre présidente d’honneur de l’UNC 92 : Lysiane Tellier et qui a été notre présidente départementale d’octobre 1998 à aujourd’hui. Sa modestie et sa pudeur lui ont interdit de vous communiquer durant 14 ans cette période de sa vie que je viens de vous révéler. »

 

 

 

Sources :

La Voix du Combattant – Numéro 1776 – Juillet et Août 2012.

 

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Publié le 14 Juillet 2012

 
SGT-MIAS-2
1945 : le sergent Mias en tenue de combat.
 
« Période de guerre, la France était occupée, la vie était difficile pour la grande majorité de nos compatriotes. Heureusement, il restait l'espoir et beaucoup d'exaltation patriotique, notamment chez les jeunes.
C'est ainsi, qu'après un scoutisme semi clandestin (interdit par l'occupant) et une participation aux équipes d'urgence de la Croix Rouge lors des bombardements, je me suis dirigé tout naturellement vers un Groupe FFI de Colombes, du mouvement MNPGD, dirigé par le commandant Favart, dit "Roger-Colombes", ce qui m'a permis de prendre part à la libération de Paris et de Colombes. Mais la tâche n'était pas terminée pour autant.
Après une démarche infructueuse en direction de la 2ème DB du général Leclerc, j'ai rejoint, début septembre 1944, avec une quarantaine de camarades FFI, dont Clouet, Decan, Entringer, Mouttet et bien d'autres, une unité FFI en formation : le Bataillon 12/22 "LIBERTE", au château de Madrid, à l'orée du Bois de Boulogne, à Neuilly. Ce Bataillon du Mouvement MNPGD était commandé par le colonel Patrice (Pelat) et le commandant Champarneau. Il était composé de volontaires issus des FFI de la Région parisienne.
 
L'entraînement était intensif dans le Bois de Boulogne, mais en contrepartie, il y avait également les gardes statiques de points sensibles à Paris et en banlieue. Nous ne pouvions nous satisfaire longtemps de cette inaction ; nous ne nous étions pas engagés pour rester l'arme au pied.
 
Aussi, avons-nous, un peu, forcé le destin. Un premier groupe est parti vers les Commandos d'Afrique du colonel Bouvet, un autre à la Brigade "Alsace-Lorraine" du colonel Berger (Malraux), au moment de la Campagne d'Alsace de la 1ère Armée du général de Lattre de Tassigny.
 
Le mien a quitté la Caserne Dupleix, avec 3 jours de vivres, pour se diriger sur la 1ère Demi-brigade de Chasseurs de Lorraine du colonel Pochard, pendant la Campagne de Lorraine de la 3ème Armée US du général Patton, au sein du "Corps d'Armée fantôme" du général Walker, le 20ème CA-US.
 
Le reste du Bataillon a rejoint le front de l'Atlantique, dans le cadre du Détachement d'Armée de l'Atlantique du général de Larminat, devant les poches de Royan, La Rochelle et Pointe-de-Grave. C'est ainsi qu'éclata dans plusieurs directions le Bataillon de Marche 12/22.
 
Mais bien que dispersés, ses éléments allèrent tous, avec le même esprit, vers un seul but : la Victoire !
En ce qui me concerne, j'étais devenu chasseur à pied, à la 1ère Demi-brigade, qui se composait des 8ème BCP du commandant Pugliesi-Conti, 16ème BCP du commandant Aubry et 30ème BCP du commandant du Pavillon. Incorporé au 16 (mais détaché au 8 pendant une certaine période), je me suis fondu, avec notre groupe de Parisiens, dans le noyau de base du Bataillon, composé de maquisards de l'Aube.
Ensuite, des Lorrains sont venus nous rejoindre. Nous avons débarqué à Hayange, devant Metz, après un parcours sinueux. Nos patrouilles s'infiltrent avec les Américains entre les forts et pénètrent dans la ville. Celle du sous-lieutenant Hugel, du 16ème, parvient au Palais du Gouverneur et le chasseur Weltz hisse le drapeau tricolore sur l'édifice. Petit à petit, Metz est libérée, bien que des coups de feu claquent encore dans les rues et que la ceinture des forts résiste toujours.
 
Nous montons en soutien à Fort-Moselle, puis nous partons à Marange, en position. Retour impromptu à Metz, pour participer à une revue et à un défilé devant les généraux de Gaulle, Giraud, Juin et Dody (ce dernier : Gouverneur Militaire de Metz) et Monsieur Diethelm, ministre de la Guerre.
 
  SGT-MIAS-7
 

Après cet intermède, nous montons sur Saint-Avold, puis sur Freyming et Merlebach pour prendre possession des mines de charbon, avant un éventuel sabotage des Allemands, en retraite. Pour cette mission, trois détachements sont formés. Celui du 16ème BCP du sous-lieutenant Quintrand passe le premier, suivi par celui du 30ème BCP et celui du 8ème BCP.

 

Avec les GI'S de la 80ème DI-US, nous occupons Freyming et Merlebach. Nous déplorons hélas, la perte du médecin auxiliaire, tué à Merlebach, alors que l'ennemi occupe toujours Forbach et y restera jusqu'en mars 1945. Suite à changement de secteur, nous sommes passés en revue par les généraux américains : Patton, Walker, et français : Koeltz et Dody, le 11 mars 1945 à Luxembourg (au Grand Duché).

Puis, retour en position de soutien, à Vaudoncourt, où l'aspirant de Saulnay est tué. Nous déplorons également la mort du sergent Clouet, à Varize. Peu après, le sous-lieutenant Quintrand est tué avec deux chasseurs en franchissant la frontière allemande.

 

En ce qui me concerne, je pénètre en Sarre avec le 8ème BCP et la 3ème DI.US, jusqu'à Merzig - trois blessés graves chez nous et un américain - attaque de harcèlement de notre cantonnement. Après cette mission, je retrouve mon 16ème à Baumholder où nous participons au nettoyage de la région et faisons des prisonniers. Le sergent Thibaut est blessé. Pendant que les Américains vont faire leur jonction avec les Russes, nous restons en Rhénanie, conformément aux ordres reçus, dans le but d’intégrer une nouvelle division : la 2ème DB. Mais les combats cesseront avant. Le 8 Mai 1945, c'est la Victoire !

 

Quelle a été notre vie pendant cette période ? Celle de tous les Combattants : progressions, coups durs, patrouilles, défense de positions, repos, changements de secteur, des joies, des peines, des moments de cafard, de peur, dont on parle rarement, mais aussi des instants exaltants, malgré la crainte des mines et des gardes statiques de nuit, seul à veiller sur la vie des copains qui dorment. A ce propos, je me souviens d'une nuit, sur les bords de la Nied gelée, dans mon "trou Gamelin" au FM, avoir été alerté par des craquements répétés et à force de fixation dans le noir, avoir cru discerner des ombres en mouvement, à l'abri des saules bordant la rivière.

 

Patrouille ennemie et risque de jets de grenades ? Faut-il effectuer un tir d'interception, peut-être prématuré, ou observer encore ? Moments intenses d'anxiété, se terminant fort heureusement, dans le cas présent, par un constat risible : la glace craquait suivant les variations de température.

Il est vrai que l'hiver 1944/45 fut particulièrement rude, la neige dépassait 60 centimètres et le thermomètre marquait -15 à -20° en Lorraine et en Alsace ; nous ne le savions pas, faute de thermomètre. Cette situation climatique difficile et les circonstances nous obligeaient un jour, à faire du café avec de la neige fondue dans le casque lourd, par manque d'eau.

 

Il me reste en souvenir être resté 25 jours équipé, sans pouvoir me dévêtir, même la nuit, lors des périodes de repos sur la paille humide, afin de ne pas se laisser surprendre.

Puis, vint le dégel et la boue, et d'autres problèmes. Une seule chose était immuable : les repas froids des "fameuses" rations.

 

Au milieu de ces épreuves, une grande camaraderie, un partage fraternel, une amicale solidarité et une grande cohésion régnaient, sans doute engendrés par les joies, les peines, les efforts consentis ensemble et les risques encourus. De cette période subsistent des amitiés durables.

Puis vint la récompense, une sorte d'apothéose : le Défilé de la Victoire, du 18 Juin 1945, sur les Champs-Elysées, à Paris, où chaque Unité Combattante était représentée.

Hommage suprême, nous sommes passés sous l'Arc de Triomphe, comme nos Pères, les Poilus, en 1919.

 

Ensuite, nous sommes allés porter le légendaire béret des Chasseurs sur les rives allemandes de la Moselle, en occupation, de Trèves à Coblence, en passant par Bernkastel, Wittlich et Cochem, comme infanterie portée de la 2ème DB du général de Langlade, ce qui m'a permis de retrouver trace de camarades du Bataillon 12/22 "Liberté" à Diez-Oranienstein (près de Limbourg), incorporés au 46ème RI. - Régiment de La Tour d'Auvergne (10ème DI du général Billotte), qui tiendra garnison jusqu'en 1994, à Berlin et sera prochainement recréé comme régiment de Réserve au Fort de Vincennes. La boucle était bouclée.

 

En ce cinquantenaire, chacun se remémore sa petite expérience personnelle et doit penser intensément à nos glorieux Morts pour que vive la France. C'est la noble tâche permanente du Souvenir Français. Rejoignez-nous, pour perpétuer leur souvenir ».

 

 

Claude MIAS

Vice-Président du Comité de Colombes du Souvenir Français


SGT-MIAS

 

 

NDLR : ces souvenirs ont été écrits en 1995 ; la Délégation générale du Souvenir Français des Hauts-de-Seine remercie le lieutenant-colonel Patrice Fichet, président du Comité de Colombes, pour nous avoir permis de diffuser cet article.

 

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Publié le 29 Août 2011

 

2e DB à Paris

 

 

La 2ème Division Blindée du général Leclerc défile sur les Champs-Elysées – Août 1944.

 

En ce 67ème anniversaire de la Libération de Paris, le lieutenant-colonel Patrice Fichet, président du Comité de Colombes du Souvenir Français nous propose le témoignage du capitaine Jean Mauras, que nous saluons !

 

« Bien que ce récit puisse paraître à certains peu crédible, il existe encore certainement des témoins qui doivent se souvenir des événements, que ma mémoire (et surtout un carnet de route écrit au jour le jour depuis 1940), vont me permettre de relater aussi fidèlement que possible !

 

Les mêmes détracteurs diront aussi qu’il n’a rien de glorieux ! Mais une vie de soldat m’a appris que la guerre n’est pas faite que d’actes héroïques, et qu’elle réserve parfois des surprises et des actions qui, en temps de paix, seraient sans importance, pour ceux qui les commettent.

 

Après le débarquement à Utah Beach, le 1er août 1944, et la dure campagne de Normandie, mon unité de la 2ème DB (Division Blindée) arrive à Paris dans la matinée du 26 août. L’après-midi, c’est la remontée des Champs-Elysées jusqu’à l’Etoile dans une atmosphère de joie inoubliable, au milieu d’une foule de Parisiens en délire ! Mais la lutte continue car l’ennemi s’est retiré dans la banlieue, et nos unités livrent de durs combats. Ma mission présente comporte la charge fort lourde de ramener des dépôts américains des blindés aux unités engagées en remplacement des chars détruits au combat. Mission délicate, car le personnel dont je dispose ne permet que, selon la formule des marins, « d’armer » les véhicules. Autrement dit, chacun de nous conduit un engin démuni de son équipage de tireur, radio et chef de voiture, et de ce fait, à la merci d’une simple patrouille ou d’un blindé adverse en état de combattre.

 

Je dois exécuter les ordres reçus, mais conscient des risques qu’ils comportent, chaque fois que je le peux, accompagné d’un simple conducteur, je pars faire une reconnaissance de l’itinéraire que j’emprunterai par la suite avec ma colonne de véhicules.

 

C’est ainsi, qu’ayant reçu, dans la matinée, pour mission d’emmener des blindés à nos unités qui combat au nord de la capitale, je décide d’aller reconnaître une route sûre dans l’après-midi du 27 août 1944, avec un Dodge, piloté par le matelot Raymond Sicre. Mais, arrivés sur les quais de Seine, au niveau d’un pont (dont j’appris par la suite que c’était le pont de Gennevilliers), des éléments de circulation de notre division m’informent que nous ne pouvons pas aller plus loin, car les combats font rage à quelques kilomètres au nord. Et on ignore où sont les nôtres et les positions ennemies.

 

Déçu, je décide de retourner à mon cantonnement pour rendre compte de l’impossibilité provisoire d’exécuter la mission. Mais au lieu de prendre le chemin de l’aller, nous suivons la Seine par les quais… direction le bois de Boulogne ! Dans ma tête cependant, je vois mes camarades des chars qui combattent, et je me dis qu’il faut que je les aide en leur amenant ces engins neufs. Chemin faisant, nous arrivons devant un autre pont avec des panneaux : l’un indique Clichy-Paris, l’autre, en traversant le pont : Asnières, Bois Colombes, Colombes.

 

Il n’y a personne. Mais, en nous approchant prudemment, nous constatons que des chicanes sont toujours en place. L’heure tardive (plus de 18h) m’incite à prendre la direction de Clichy. Mais toujours au fond de moi se présente l’image des amis au combat… et mes chars de réserve ! La rue, déserte, soudain s’anime et nous sommes arrêtés. La vue de nos tenues et les insignes de la DB du véhicule dans un premier temps rassurent, puis déchaînent la joie autour de nous. Aux cris de « Leclerc », bientôt c’est la foule. Non sans peine, nous pouvons parler et demander des renseignements et soudain une idée folle traverse mon esprit toujours obsédé par la non-livraison de mes blindés. N’existe-t-il pas une possibilité de rejoindre la zone des combats de l’autre côté de la Seine ? A ma question, on me répond qu’il existe un axe « Colombes-Saint-Denis ». Mais que l’on ignore si la voie est libre et tenue pas les nôtres ! Les scrupules des risques à faire courir à mon fidèle Sicre sont balayés par une déclaration péremptoire : « Lieutenant, on y va ! ». Et c’est ainsi que nous franchissons le pont d’Asnières. La première chicane est libre, mais, soudain, au moment de passer la deuxième (sortie du pont) des hommes en armes nous entourent. L’émotion s’arrête de part et d’autre. Nous, en voyant les brassards FFI, eux, en reconnaissant des « Leclerc » : cris de joie, embrassades. Le scénario de tout à l’heure recommence et, au milieu du tumulte, j’obtiens le silence et je demande à nouveau des renseignements sur mon itinéraire de déviation. C’est alors que l’on me propose de me guider à travers Asnières vers Bois-Colombes. Mes FFI du pont ajoutent qu’ils n’ont rien vu : ni des Allemands, ni des Français, et que nous sommes les premiers « Leclerc » qu’ils accueillent ! Plus loin, on ne sait qu’une chose : qu’il règne un grand calme ! Et qu’il semble bien que les Allemands se sont retirés vers Saint-Denis. Ainsi se confirme à mes yeux l’interdiction qui m’a été faite au pont de Gennevilliers. Mon naturel m’a toujours porté à l’action, et ayant pesé le pour et le contre, ma décision prise, je m’y tiens, quoiqu’il puisse arriver ! Mais j’ai charge d’âmes car en cours d’attaque, que nous pourrions-nous faire, pratiquement sans armes… et un malheureux véhicule ? C’est à ce moment qu’intervient la folle inconscience de nos compatriotes. Dans l’exaltation et l’enthousiasme, chacun veut marcher vers l’inconnu ! Gagnés par cette folie collective, nous avançons au milieu d’une foule de plus en plus nombreuse. Notre pauvre camionnette surchargée roule lentement et partout, ce ne sont que des « Vive de Gaulle ! Vive Leclerc, vive la France ! ».

 

Toujours en tête mon leitmotiv « Colombes-Saint-Denis », je me souviens cependant avoir prononcé « Rue Guerlain » à Colombes, et ces mots entendus par nos guides font qu’après avoir traversé Bois-Colombes, nous atteignons la rue Guerlain ! Pourquoi cette rue plutôt qu’une autre ? Simplement parce que j’ai promis, trois mois plus tôt, en quittant Oran, à ma jeune femme (qui va rester seule) que si le hasard veut que je passe près de Paris, j’irai rassurer sa mère dont elle n’a plus de nouvelles depuis 1941. Et le hasard fait que je suis rue Guerlain où habitent depuis 1870 (date d’arrivée de son arrière grand-mère) la famille et la mère de ma compagne !

 

Je ne peux que l’embrasser et échanger quelques nouvelles car la rue est envahie par les voisins, et comme les « voyageurs » embarqués sont Colombiens, il faut limiter les effusions et aller à l’Hôtel de ville. D’où vient-il et où a-t-il été trouvé ce bien modeste drapeau tricolore du 14 juillet qui est accroché au balcon ? Mystère ! Mais ce dont je me souviens, c’est l’obligation de fêter à grand renfort de breuvages divers et variés l’événement « des Leclerc à Colombes » !

 

Qu’il me soit pardonné : mon axe « Colombes-Saint-Denis » est bien loin – mes idées encore relativement nettes me font admettre qu’à l’heure du moment (plus de 20h), il est hors de question d’aller le reconnaître ! De plus, mon fidèle matelot et la majorité des mes « guides » occasionnels sont hors d’état de conduire, ou de m’indiquer une route quelle qu’elle soit.

 

Un dernier « pot » et  un dernier « vivat » et je songe à prendre le volant et le chemin du retour. De mes souvenirs d’avant-guerre, il me revient à l’esprit, que lorsque je venais en permission voir ma fiancée, je prenais entre Paris et Colombes une ligne de trolleybus, qui partait de la vieille église. Je dois promettre à nos admirateurs de revenir pour m’obliger à tenir ma promesse, certains veulent m’accompagner. Il est vrai que la plupart, rendus euphoriques tant par la joie, l’exaltation, que par les libations me suivraient au bout de la Terre si je le proposais. C’est ainsi qu’avec mon guidage de caténaires « Colombes-Porte de Champerret » j’emmène mon chargement humain au Bois de Boulogne fort tard dans la nuit.

 

Le lendemain, dès que mes idées sont clarifiées, je pars rendre compte « qu’il est risqué d’emmener des blindés sans équipage en renfort, mais qu’il peut y avoir une possibilité par une rocade « Colombes-Saint-Denis » d’approcher au plus près de la zone de combats ». Il m’est répondu que la mission est provisoirement suspendue – et il me semble que l’on ne tient pas compte de mon renseignement. Quelque peu décontenancé, je reviens à mon cantonnement et retrouve mon matelot, mes compagnons (et compagnes, car je dois préciser qu’elles sont présentes et aussi enthousiastes que les Colombiens) de la veille…

 

Il faut bien se résoudre à ramener tous ces gens, d’autant qu’il y a parmi eux des jeunes adolescents et adolescentes !

 

Cette fois, la route indiquée passe par le pont de Neuilly, La Défense, Courbevoie, La Garenne-Colombes. Inutile de préciser que partout, ce n’est qu’effusions, embrassades… Tous veulent nous retenir, mais pour moi, il me faut arriver à Colombes. Ayant quitté le bois à 13h30, nous n’arrivons à l’église de Colombes qu’à 15h30 ! Mais en écrivant le mot « délire », je suis en dessous de la vérité. Voici ce que j’écris sur mon carnet de route : « 15h30. Arrivée à Colombes. C’est du délire ! Une masse de gens monte sur le Dodge (dont les arceaux, entre parenthèses, se sont brisés) et on traverse la ville en tous sens. Pour pouvoir être libre auprès de ta mère, je dois promettre de rejoindre les gens qui assaillent la camionnette ».

 

Tournées de cafés, du presbytère pour une fête de la Croix-Rouge. Et chaque fois, nous devons à nouveau boire à la santé des Alliés, de de Gaulle, de Leclerc… Effusions, ovations, photographies (dont hélas je n’ai jamais pu avoir d’épreuves). Il nous faut parler, répondre à des milliers de questions et toujours… trinquer ! Je me souviens d’un monsieur âgé, des immeubles en briques de l’avenue Paul Bert, qui veut à toutes forces « boire avec les libérateurs » la bouteille de champagne qu’il a conservé pendant l’Occupation pour cela !

 

Aux environs de 20h, je peux enfin retrouver la rue Guerlain. Mais « nos épreuves » ne sont pas terminées, car tous les amis du quartier viennent aux nouvelles et chacun de demander ce qu’est devenue ma femme, comment se passe notre vie en Afrique du Nord depuis 1941…

 

C’est un véritable interrogatoire auquel, malgré la fatigue, nous répondons du mieux possible. Chacun boit nos paroles, veut nous approcher : le pompon de mon fidèle Sicre résiste cependant à l’assaut… mais à quel prix !

 

On réussit à prendre un peu de nourriture chez les voisins, mais notre Dodge est toujours occupé par nos admirateurs. Et pour les satisfaire, nous devons encore une fois faire un tour d’honneur à grand renfort de klaxon, hurlements, cris divers, dans la ville. Le malheureux véhicule est aussi chargé « qu’une voiture de métro aux heures de pointe, lorsqu’un incident a ralenti la cadence de passage des rames ». Tard dans la nuit, nous rejoignons Paris.

 

C’est ainsi, qu’avec Raymond Sicre : un officier et un marin du régiment blindé des fusilliers marins de la Division Leclerc furent les premiers militaires alliés à rentrer dans Colombes, sans l’avoir prévu, en ces deux journées d’août 1944, qu’ils n’oublieront jamais ».

 

 

Capitaine Jean Mauras.

 

 

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Publié le 14 Août 2011

 

STO 3

 

Le tournant de 1942.

 

Début 1942, en conséquence immédiate de la prise de conscience d’une guerre longue et difficile à venir, l’ensemble des territoires occupés par l’armée allemande et leurs ressources économiques doivent désormais être utilisés pour soutenir l’effort de guerre. Fritz Sauckel(8) et son représentant particulier en France, Julius Ritter(9) se voient confier, en mars 1942, la mission de mobiliser la main d’œuvre des pays occupés au profit de l’effort de guerre allemand. En France, Pierre Laval revient à la tête du gouvernement, le 18 avril 1942, sous la pression allemande. Il est aussitôt confronté à l'exigence des autorités d’occupation qui lui réclament 350.000 ouvriers. En juin 1942, le gouvernement français parvient à un difficile compromis avec les allemands, ce qui lui permet, dans un premier temps, de sauver la face devant l’opinion publique française(10). La France fournira immédiatement 150.000 ouvriers en échange de 50.000 prisonniers de guerre, rendus à leur foyer. C'est la « Relève ».

 

Afin de justifier cette politique auprès de l’opinion publique, une opération de propagande accompagne, le 11 août 1942, à Compiègne, l'arrivée du premier train de prisonniers : 1.200 agriculteurs qui resteront les seuls bénéficiaires tangibles de cette politique. Elle n’obtient pourtant pas le succès escompté en dépit des avantages accordés aux volontaires (salaires élevés, prime de séparation). Fin 1942, les résultats sont donc loin d’être à la hauteur des espérances. Furieux de ce manque d’efficacité, Fritz Sauckel refuse d'appliquer l'accord de juin 1942 permettant le retour de prisonniers de guerre. Pour obtenir des résultats concrets, le gouvernement va devoir employer des méthodes de plus en plus coercitives vis-à-vis de la population française. Par une loi du 16 février 1943, Laval met en place le Service du travail obligatoire pour les jeunes gens nés en 1920, en 1921 et en 1922(11). Des sanctions sont prévues pour les réfractaires. Les exigences allemandes se font chaque fois plus sévères. En 1943, Fritz Sauckel réclame désormais un million de travailleurs. Une seconde loi en février 1944 durcit encore la situation. Elle réquisitionne tous les hommes de seize à soixante ans et toutes les femmes sans enfants de dix-huit à quarante-cinq ans si leur maintien dans un emploi en France n'est pas indispensable à l'économie nationale.

 

Les travailleurs sont envoyés dans des établissements industriels allemands(12) pour remplacer une main d’œuvre non qualifiée. Au total, un peu moins de 650.000 français vont partir travailler en Allemagne entre juin 1942 et juillet 1944. Les estimations les plus récentes considèrent que 35.000 d’entre eux y ont perdu la vie(13). Au cours de cette période, la France sera, en nombre d’hommes mobilisés, le troisième contributeur européen à l’effort de guerre allemand après la Pologne et la Russie. A la différence de ces deux pays ayant perdu toute autonomie politique, l’Etat français se distinguera et organisera, pour le compte de l’occupant, l’envoi en Allemagne des travailleurs français. En plus des personnes relevant strictement du service du travail obligatoire, la situation des personnes impliquées dans le travail au service de l’Allemagne comprend des situations diverses. Les victimes du S.T.O. ne sont les seules à travailler pour l’Allemagne. Au cours des deux premières années d’occupation, la propagande allemande essaye d’attirer volontairement en Allemagne une main d’œuvre désœuvrée et qualifiée. Au début de 1942, 60.000 personnes travaillent déjà en Allemagne. Au total, en sus des requis du S.T.O., environ 200.000 personnes seront des travailleurs volontaires et 250.000 prisonniers de guerre seront utilisés de gré ou de force comme travailleurs sur le territoire allemand.

 

On le voit les lignes de démarcation entre les statuts ne sont pas si claires. Cette difficulté a contribué à des controverses durables dans l’après guerre. Comme en témoigne l’histoire désormais célèbre de Georges Marchais, secrétaire général du Parti Communiste Français (1970-1994), il fut accusé après la guerre d'avoir été volontaire en Allemagne chez Messerschmitt et non pas envoyé au S.T.O contre son gré. Selon son biographe, Marchais ne fut ni volontaire ni requis du S.T.O. Il fut muté en Allemagne par l'entreprise qui l'employait déjà en France depuis 1940. Son parcours est comparable au sort de milliers de Français, contraints de travailler pour les Allemands en France ou en Allemagne.

 

Au final, les résultats obtenus part les autorités françaises en termes de travailleurs réellement envoyés en Allemagne n’ont jamais satisfait complètement les exigences des autorités allemandes. le S.T.O. apparaît donc comme un double échec, tant du point de vue du Reich que pour la politique de collaboration du gouvernement de Pierre Laval. D’abord destinée à adoucir le traitement réservé à la France, la collaboration doit également assurer une nouvelle place favorable dans l’Europe sous la domination du Reich de l’après guerre. Cette politique et ses conséquences pour les jeunes français fut largement une illusion. Le travail obligatoire a provoqué, en 1943, la première fissure grave entre la population et Vichy. Il figure au premier rang des reproches adressés au régime. Si la majorité des Français peut conserver une attitude attentiste jusqu’en 1943 et se référer à l’image rassurante du Maréchal, le service du travail obligatoire va désormais obliger les individus à prendre position pour ou contre Vichy. Se soumettre implique de devoir partir travailler pour l’Allemagne. Le premier effet tangible du S.T.O. a donc été de jeter dans la Résistance une part très importante des jeunes gens menacés. Beaucoup d'entre eux préféreront rejoindre les maquis plutôt que de partir pour l'Allemagne. On peut considérer que cette loi de 1943 a d’abord été un magnifique cadeau pour les capacités de recrutement de la Résistance intérieure. Des actions d’éclats ont été menées spécifiquement contre le service du travail obligatoire. La mémoire d’une des actions les plus célèbres de la Résistance est conservée par une plaque gravée à l’entrée du ministère du Travail. Le 25 février 1944, au siège du S.T.O., 3, place de Fontenoy, un commando dirigé par Léo Hamon pénètre dans les locaux et réussit la destruction du fichier administratif des appelés de la classe 42, appelés à partir travailler en Allemagne(14).

 

Après la guerre.

 

Après la guerre, les enjeux de mémoire ont provoqué une dernière controverse importante et a concerné le statut juridique des victimes du S.T.O. La loi du 14 mai 1951 a créé un statut donnant aux victimes du service du travail obligatoire en Allemagne la qualité de personnes « contraintes au travail en pays ennemi ». La fédération regroupant les français astreints au travail obligatoire a choisi le titre de « Fédération nationale des déportés du travail ». Les associations de déportés ont intenté des actions judiciaires contre l'appellation choisie par les anciens du S.T.O. Un arrêt de la Cour de cassation en date du 23 mai 1979 a interdit à cette fédération d'user des termes de déporté ou de déportation. Saisie de nouveaux recours, la Cour de cassation, siégeant en assemblée plénière, a confirmé le 10 février 1992 ses arrêts précédents, en déclarant que « seuls les déportés résistants et les déportés politiques, à l'exclusion des personnes contraintes au travail en pays ennemi », pouvaient se prévaloir du titre de déporté. C'est donc cette jurisprudence qui s'applique actuellement.

 

A l'occasion des cérémonies marquant le cinquantième anniversaire de la fin de la Seconde Guerre mondiale en 1995, le retour des victimes du S.T.O. a été tout spécialement célébré le 11 mai 1995 à Paris au cimetière du Père-Lachaise, face au mémorial où repose une victime inconnue du Service du Travail Obligatoire. Dernière avancée, un arrêté en date du 16 octobre 2008, a accordé une carte officielle aux victimes du Travail Forcé en Allemagne nazie.

 

 

 

Luc Tessier

Docteur en économie – Enseignant à l’Université Paris-Est, Marne-la-Vallée.

 

 

Sources :

·         Albert Speer, Au cœur du troisième Reich, les grandes études contemporaines Ed. Fayard 1971

·         Homburg Heidrun, Aspects économiques de l'occupation allemande en France, 1940-1944: l'exemple de l'industrie électrotechnique. In: Histoire, économie et société. 2005, 24e année, n°4. pp. 527-543..

·         Mark Spoerer, Motivations, contraintes et marges de manoeuvre des entreprises allemandes dans l'emploi de travailleurs forcés pendant la Seconde Guerre mondiale In: Histoire, économie et société. 2005, 24e année, n°4. pp. 545-553..

·         Jean Quellien, Bernard Garnier Françoise Passera Collaboration(s), La Main-d'oeuvre Française Exploitée par le IIIe Reich (2003) 704 p. (2003) Centre de Recherche d'Histoire Quantitative (CRHQ) CNRS : UMR6583 – Université de Caen

·         Patrice Arnaud, Les STO - histoire des Français requis en Allemagne nazie, Paris, CNRS Editions, 2010, 592 p.

·         Jacques Evrard, La Déportation des travailleurs français dans le IIIe Reich, Fayard, Les grandes études contemporaines, Paris, 1972.

·         Patrice Arnaud, Les Travailleurs civils français en Allemagne pendant la Seconde Guerre mondiale : travail, vie quotidienne, accommodement, résistance et répression, thèse de doctorat, Université de Paris-I, 2006, 1942 p.

·         Jacques Martin, Carnets de guerre, en collaboration avec Julie Maeck et Patrick Weber, 2009, Casterman.

·         Françoise Berger, L’Exploitation de la main-d’œuvre française dans l’industrie sidérurgique allemande pendant la Seconde Guerre mondiale, Revue d'histoire moderne et contemporaine, juillet-septembre 2003.

·         J.-P. Azema & F. Bedarida dir., La France des années noires, 2 vol., Seuil, 1993 (rééd. 2000)

·         P. Burrin, La France à l'heure allemande 1940-1944, Seuil, 1995

·         J. Jackson, La France sous l'Occupation, 1940-1944, Flammarion, Paris, 2004

·         J.-P. Azéma, De Munich à la Libération, Le Seuil, Paris, 1979 (Nouvelle Histoire de la France contemporaine), 5e éd. rev. et aug., 1996

·         J.-P. Azéma & F. Bédarida dir., La France des années noires, 2 volumes, Le Seuil, Paris, 1993

·         J.-P. Azéma & O. Wieviorka, Vichy et les Français, Fayard, Paris, 1992  Vichy 1940-1944, Perrin, Paris, 1997 / M. O. Baruch, Le Régime de Vichy, La Découverte, Paris, 1996

·         P. Burrin, La France à l'heure allemande, Le Seuil, Paris, 1995 / É. Conan & H. Rousso, Vichy un passé qui ne passe pas, Fayard, Paris, 1994

·         Le Régime de Vichy, coll. Que sais-je ?, P.U.F., Paris, 2007.

·         La Main-d'œuvre française exploitée par le IIIe Reich, actes du colloque international de Caen (novembre 2001), Centre de Recherche d’Histoire quantitative, Caen, 2001, textes rassemblés par B. Garnier, J. Quellien et F. Passera

 

Notes de lecture

[1] « un des aspects les plus surprenant de cette guerre est que Hitler ait voulu éviter à son peuple les épreuves que Churchill et Roosevelt imposèrent au leur sans hésiter » P.304, Albert Speer, Au cœur du troisième Reich, les grandes études contemporaines Ed. Fayard 1971

2 Id page 311

3 Homburg Heidrun. Aspects économiques de l'occupation allemande en France, 1940-1944: l'exemple de l'industrie électrotechnique. In: Histoire, économie et société. 2005, 24e année, n°4. pp. 527-543.

4 On peut citer le cas de l’entreprise AIR-ÉQUIPEMENT à Bois-Colombes fin 1942, des techniciens, ouvriers et tourneurs, ont été arrêtés sur leur lieu de travail ou bien convoqués et enfermés à la caserne Mortier à Paris, avant leur départ pour Berlin. Les parents et familles ont été avisés par courrier de leur apporter bagages et nécessaire pour y passer la nuit.

5 Le cas des usines Morane-Saulnier est exemplaire. Ses dirigeants refusèrent en 1940 la collaboration économique immédiate avec l’occupant, les ateliers furent mis sous tutelle et en partie démantelés par l’armée allemande. Des ateliers de maintenance aéronautique et une fabrication d’appareils allemands furent conservés en France pour les besoins de la Luftwaffe sous un contrôle absolu de l’occupant. Ces ateliers furent très durement bombardés par l’aviation alliée et ne purent jamais redémarrer à la Libération en raison de la disparition totale de l’outil de production.

6 Mark Spoerer, Motivations, contraintes et marges de manœuvre des entreprises allemandes dans l'emploi de travailleurs forcés pendant la Seconde Guerre mondiale In: Histoire, économie et société. 2005, 24e année, n°4. pp. 545-553..

7 Un colloque international d’histoire a été organisé à Caen en décembre 2001 pour aborder le problème de l'exploitation de la main-d'œuvre française par le Troisième Reich dans la totalité de ses dimensions. Ainsi, tout en accordant une place centrale au travail obligatoire, institué par les lois de Vichy de septembre 1942 et février 1943 (créant le STO), d'autres formes de travail pour le Troisième Reich ont été examinées : le volontariat, dont l'importance a longtemps été sous-estimée ; le travail, en France même, dans les usines ou les multiples chantiers ouverts par les Allemands, en premier lieu ceux du Mur de l'Atlantique. Sous l'angle politique, le Service du Travail Obligatoire a fortement contribué à renforcer l'hostilité envers l'occupant, mais aussi à détacher de nombreux Français du régime de Vichy et de sa politique de collaboration. Enfin, a été posée la question des enjeux de mémoire, notamment autour du statut des requis, contraints de renoncer au titre de "déportés du travail" et à la longue bataille menée par leur fédération en vue d'obtenir la reconnaissance officielle de la nation et une certaine réhabilitation auprès d'une opinion parfois portée à les considérer avec distance

8 Fritz Sauckel (1894-1946) était un responsable nazi. Il organisa les déportations de travailleurs des pays occupés vers l'Allemagne. En 1946, Il fut condamné à mort pour crimes de guerre au procès de Nuremberg et pendu.

9 Colonel SS, il est abattu le 28 septembre 1943 par un commando de résistants appartenant au groupe Manouchian. Leur destin a été popularisé par un texte de louis Aragon et mis en chanson par Léo Ferré.

10 Voir le site internet http://www.universalis.fr/encyclopedie/service-du-travail-obligatoire/

11 François Cavanna, fils d’émigré italien, évoque magnifiquement le S.T.O. dans un de ses romans à succès, « Les Russkoffs », éditions Belfond, prix interallié 1979. Envoyé à Berlin, il est affecté à la fabrication d'obus, où il rencontre Maria, une jeune Ukrainienne, son grand amour des années 1943-45. Il décrit également la violence particulière appliquée par les autorités allemandes envers les travailleurs de l’Est.

12 Certains d’entre eux seront également affectés dans l’administration, les chemins de fer allemands ou beaucoup plus rarement dans l’agriculture.

13 Le nombre exact de victimes du STO a fait l’objet de nombreuses exagérations. Le chiffre donné ici est le plus prudent, il comprend les victimes de guerre, les décès liés aux mauvaises conditions de vie et les exécutions.

14 Il est paradoxal de noter qu’il s’agit là d’une des contributions principales de Vichy à la reconstruction de l’appareil administratif français d’après guerre. Les premiers travaux de suivi statistique de la production industrielle et les premières constitutions de fichiers concernant la main d’œuvre ont été organisé pendant l’occupation par cette administration pour les besoins de la planification de la production de guerre et pour répondre aux exigences allemandes. Ils seront à l’origine de la création de l’INSEE dans l’immédiate après guerre.

 

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Publié le 14 Août 2011

 

Comme toutes les communes des Hauts-de-Seine, et d’ailleurs, La Garenne-Colombes a eut à souffrir du Service du Travail Obligatoire (S.T.O.) pendant l’occupation allemande de la Seconde Guerre mondiale. Parmi les victimes civiles de ce conflit, et qui sont nombreuses dans le carré militaire de cette ville, figurent bien souvent des hommes morts en Allemagne du fait de ce STO.

 

Exploiter les ressources françaises.

 

La relation qui s‘établit entre la France et l’Allemagne à partir de la défaite de juin 1940 se caractérise par une mise en exploitation progressive de l’ensemble des ressources de la France au service de l’Allemagne. Si le S.T.O. n’en constitue qu’un aspect parmi d’autres, il s’inscrit dans un contexte plus global de collaboration économique de la France au service de l’Allemagne. Malgré l’ampleur des spoliations, il ne fut jamais pour le IIIème Reich qu’un pis -aller destiné à redresser une situation de son économie de guerre de plus en plus difficile. Du côté français, malgré tous ses renoncements, le gouvernement de Vichy ne fut jamais en mesure de s’opposer aux exigences allemandes, ni même en situation de les satisfaire pleinement.

 

Entre septembre 1940 et la fin 1941, pendant la première partie de l’Occupation, les autorités allemandes se contentent d’une politique de pillage des actifs économiques les plus intéressants. Du point de vue de l’armée allemande, la France doit d’abord fournir des moyens économiques nécessaires à de futures campagnes militaires. Au cours de cette période, des usines jugées stratégiques sont mises sous séquestre, les matières premières et les machines outils sont emportées en Allemagne. Albert Speer, un des principaux dirigeants nazis et artisan majeur de la mobilisation économique du Reich, a souligné, à plusieurs reprises dans ses mémoires(1) cette vision trop optimiste et surtout erronée d’une guerre à court terme. Dès 1942, il estime qu’il manque, dans l’industrie allemande, un million d’hommes nécessaire à la production de guerre(2). Il déclarera, après la guerre, que le retard pris par l’Allemagne pour la mobilisation totale de ses ressources productives en 1940 et 1941 fut certainement sa plus grande erreur stratégique à l’origine de sa défaite finale. Il exercera une influence déterminante dans le glissement rapide d’une politique de pillage vers une politique plus rationnelle de mise en exploitation maximum du potentiel économique des pays occupés.

 

Dans cette nouvelle configuration, l’industrie française doit assurer une fonction primordiale de sous-traitance auprès de l’industrie allemande. Dès l’été 1941, dans les secteurs jugés prioritaires, les entreprises françaises sont submergées par les commandes de leurs partenaires du Reich. Cette politique ne se met pas en place sans quelques contradictions et ratages, y compris du point du vue de l’occupant et de l’efficacité économique des moyens industriels à son service(3).

 

Collaboration économique active.

 

A partir de 1942, une collaboration économique active de la part des entreprises françaises, des carnets de commandes pleins et des flux de production orientés quasiment exclusivement vers l’Allemagne ne les protègent pas systématiquement des réquisitions possibles d’outillages et de personnels(4). Si la France ne subit pas les mêmes exactions et la mise en coupe réglée des territoires situés à l’Est, le pays devient pourtant le meilleur fournisseur industriel de l’Allemagne. Il utilise pleinement sa main-d'œuvre pour cette production : plus de deux millions de salariés travaillent en France pour le compte de l’Allemagne. Les indemnités journalières prévues par la convention d’armistice s’élèvent à environ 400 millions de francs par jour dont une part très importante sert à financer les achats allemands. Ainsi en 1943, en France, 50% du trafic ferroviaire, 80% de la sidérurgie, 85% de la branche automobile, 90% de l'aéronautique, l'essentiel du BTP sont au service exclusif de l'effort de guerre allemand. Des secteurs moins directement stratégiques ont également largement contribué à l’effort. Ainsi sur l’ensemble de la période 1940-1944, l’industrie électrique française a assuré plus de 30% de son activité à partir des commandes allemandes.

 

De tels niveaux de production ne peuvent pas être réalisés sans une acceptation, voire une recherche systématique, des commandes allemandes. La collaboration économique du patronat français a fait l’objet de nombreuses enquêtes et poursuites judiciaires à la Libération. A la décharge des industriels, ils n’ont pas à l’époque de nombreux choix alternatifs. Les usines refusant de collaborer avec l’occupant risquent la réquisition immédiate, voire le démantèlement et le transfert des outillages vers l’Allemagne dès lors qu’elles comportent le moindre intérêt stratégique pour l’occupant. L’armée allemande est, à cette période, le seul client payant ses factures rubis sur l’ongle. La justification principale avancée après-guerre pour la défense des industriels à la collaboration économique est plus subtile : la production locale au service des commandes de l’ennemi permettait de conserver une production nationale à destination du marché français. Non sans une part de vérité, il s’agissait de protéger l’emploi local et l’outil de production sur le territoire. Ces argumentaires de défense seront très souvent utilisés par des directions d’entreprises. Le cas de Louis Renault est emblématique de la période. Il meurt en octobre 1944 certainement victimes de mauvais traitement dans sa cellule à la Prison de Fresnes. Son crime n’est pas d’avoir organisé la réouverture de ses usines au service de l’Allemagne mais d’avoir utilisé la période pour mener une politique de répression antisyndicale qui a conduit directement plusieurs militants syndicaux de l’entreprise en déportation. Pour éviter un chômage de masse, la production chez Renault redémarre en octobre 1940 avec l’assentiment de la CGT. Les usines Renault sont alors un cible évident pour les alliés et très largement détruites par un bombardement anglais en 1942(5).

 

A Lyon, Les usines Berliet suivent la même trajectoire et la même accusation de répression antisyndicale conduira Marius Berliet en prison. Le second argument de défense des industriels souligne l’importance des actions de résistance menées dans les ateliers. Le sabotage et le freinage de la productivité sont des moyens certains de se soustraire aux exigences allemandes. Pour lutter contre ces résistances, les autorités allemandes ont systématiquement renforcé leur contrôle sur la production. En septembre 1943, à la suite d’un accord signé entre Albert Speer et Jean Bichelonne, le ministre français de la production industrielle, les entreprises françaises les plus stratégiques mobilisées dans la production de guerre sont directement placées sous le contrôle d’une entreprise allemande « marraine » chargée de diriger l’ordonnancement des productions, y compris dans certains cas avec l’envoi de techniciens allemands pour superviser directement les ateliers sur place.

 

Remplacer les travailleurs allemands.

 

A partir de l’année 1942, les premières difficultés sérieuses rencontrées par l’armée allemande sur le front russe amènent le gouvernement du Reich à accentuer la pression exercée sur la population allemande. Un nombre croissant de travailleurs allemands, non indispensables à la production industrielle, sont mobilisés et envoyés au front en Russie. L’Allemagne nazie perd alors rapidement ses illusions d’une guerre courte et victorieuse permettant d’épargner à la population civile des efforts démesurés. En raison de la diminution rapide de la main d’œuvre nationale disponible, les entreprises du Reich se voient contraintes à utiliser une main d’œuvre étrangère, souvent très peu formée, pour éviter la paralysie totale de leurs activités ou, pire encore, la réquisition administrative de leurs usines par les autorités. Leur situation et leurs options ne peuvent pourtant se réduire à la seule contrainte exercée par les autorités politiques. Dans certains cas, les stratégies d’optimisation économique des capacités de production et de rentabilité ont pu amener les entreprises allemandes à privilégier l’emploi systématique d’une main d’œuvre de travailleurs étrangers forcés plutôt que de recourir à des investissements beaucoup plus coûteux pour développer leur production(6). Elles choisissent alors clairement de substituer le capital par du travail bon marché.

 

Entre 1939 et 1945, au fur et à mesure de la dégradation de la situation économique et militaire du Reich, il est possible de caractériser une trajectoire des grandes entreprises industrielles allemandes. Au-delà de toute considération morale, la situation de ces entreprises évolue d’une situation relativement favorable au début de la guerre où la production civile et militaire est réalisée exclusivement avec des travailleurs allemands, vers une situation de plus en plus dégradée du point vue de l’efficacité industrielle. L’utilisation massive de travailleurs étrangers peu coopératifs pour assurer une production de plus en plus militaire et de moins en moins civile n’a pas contribué à optimiser l’efficacité de l’appareil industriel ni à satisfaire les besoins de base de la population, entrainant par là même un divorce progressif entre la population allemande et le gouvernement.

 

Dans les derniers mois de la guerre, la situation catastrophique du Reich amènera les dirigeants industriels allemands à utiliser presque systématiquement des travailleurs forcés pour simplement assurer une production minimum d’armement. Le déplacement à l’Est, pour des raisons de sécurité, des activités industrielles très menacées par les bombardements massifs des anglo-américains est organisé à grande échelle. Les plus grandes entreprises allemandes utilisent alors systématiquement des travailleurs fournis par l’administration SS des camps de concentration avec les résultats humains que l’on connait. Pour autant, ces entreprises n’ont pas complètement perdu certaines marges de manœuvre. Les travaux des historiens allemands ont montré que les conditions matérielles d’existence des travailleurs forcés recouvrent une grande diversité de situations locales en raison des comportements personnels des ingénieurs, des contremaitres et des chefs d’entreprises en charge de l’organisation pratique de l’exploitation de la main d’œuvre(7).

 

STO 2

 

 

 

 

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Publié le 2 Juillet 2011

 

 

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Paulette Levalleur-Steudler et Roger Levalleur au congrès national du Souvenir Français – Paris, avril 2011.

 

 

L’engagement.

 

Avril 2011 : à l’occasion du congrès national de notre association, nous rencontrons Paulette Levalleur-Steudler et son époux Roger. Membres du Souvenir Français de Neuilly, ils sont de toutes les commémorations et se consacrent sans relâche au Devoir de Mémoire.

 

Paulette Levalleur : « Il y a un grand nombre d’années, j’ai rencontré, lors d’un dépôt de gerbes au cimetière ancien de Neuilly, un personnage portant le drapeau du Souvenir Français. Après une courte discussion, je me suis engagée avec mon époux au Comité de Neuilly-sur-Seine». Mais en fait, l’engagement patriotique de Paulette Levalleur remonte au début de la Seconde Guerre mondiale, en ces temps où ceux qui suivaient un certain général de Gaulle n’étaient pas si nombreux…

 

Paulette Levalleur : « Je suis née à Saint-Leu-la-Forêt le 11 mai 1921 d’une maman française d’Alger et d’un papa suisse, de Neufchâtel. Mon père ayant trouvé une situation à Londres, notre famille le rejoignit en Grande-Bretagne en septembre 1936. J’ai été élevée dans le culte de la France une et indivisible, comme le dit si bien notre constitution de 1958, et dans l’amour de la Patrie. Pour mes parents le respect des valeurs et le caractère sacré de leurs drapeaux respectifs étaient des éléments essentiels. Nous avons vécu l’invasion de la France avec douleur et déchirement. Aussi, quand le général de Gaulle a lancé son appel en juin 1940, je n’ai pas hésité et je me suis engagée dans les Forces Françaises Libres ».

 

Les Forces Françaises Libres sont créées par le général de Gaulle le 1er juillet 1940. Elles sont divisées en trois unités : les forces terrestres, navales et aériennes. Les forces terrestres sont formées de soldats de métier et d’appelés de l’armée de terre française, qui rejoignent Londres comme ils peuvent, des hommes du colonel Béthouart, commandant le corps expéditionnaire en Norvège (ils viennent de remporter la bataille de Narvik mais ont dû laisser le pays aux troupes du Reich) et de civils qui s’engagent. De moins de 2.000 hommes en juillet 1940, elles passent rapidement à plus de 3.000 le mois suivant. Les forces navales rassemblent environ un millier de marins sous le commandement de l’amiral Muselier, et les forces aériennes regroupent environ 300 pilotes et mécaniciens.

 

Trois années plus tard, les Forces Françaises Libres seront fortes de près de 75.000 hommes !

 

Paulette Levalleur : « L’engagement était naturel pour moi. Je ne sais même pas si j’ai réfléchit aux conséquences de mon acte. J’ai donc signé selon la formule en vigueur : « Pour la durée de la guerre, plus trois mois ». J’étais affectée à des tâches de secrétariat aux services du Renseignement. Tous les jours, je venais travailler au quartier général de la France Libre à Delphin Square. J’y rencontrai des personnages extraordinaires. Par exemple, le colonel Passy (NB : André Dewavrin, qui mit en place les services secrets de la France Libre) était un grand personnage, aimé et apprécié de nous tous, ainsi que le colonel Rémy (NB : Gilbert Renault fut l’un des agents secrets français les plus célèbres de la Seconde Guerre mondiale). Et puis, bien entendu, plusieurs fois par an, nous avions l’honneur de prises d’armes et de revues devant le général de Gaulle. Je travaillais sur toute une série de dossiers. J’œuvrais entre autres dans le cadre de la correspondance avec la Résistance, pour indiquer des mouvements de troupes, des emplacements de rampes de V1 et de V2…».

 

 

Retour en France.

 

Paulette Levalleur : « En 1944, je débarquai à Arromanches avec les membres du service. Je fus affectée à la DGER, Direction générale des Etudes et Recherches puis à la Direction générale des Services Spéciaux, la DGSS ».

 

Pièce du Bureau central de renseignements et d’action (BCRA), créé à Londres par le général de Gaulle et le colonel Passy, la DGER fut constituée en 1944 et administrée par Jacques Soustelle, avant de devenir en 1946 le SDECE (Service de documentation extérieure et de contre-espionnage), qui sera actif – et célèbre – de sa création jusqu’en 1982. Quant à la DGSS, elle résulte aussi de la fusion du BCRA avec des membres des services de renseignements, fondés sous le régime de Vichy puis organisés par le général Giraud à Alger à partir de 1943.

 

Paulette Levalleur : « Mais je ne restai pas très longtemps au sein de ces services. On me proposa un poste au sein de l’American Army, sous le commandement du colonel Brunschvig, dans une mission de liaison, pour remplacer une secrétaire qui était alors très malade ».

 

 

Au sein de la Shell.

 

Paulette Levalleur : « Je ne restai pas très longtemps non plus membre de l’American Army. Dès que je fus libérée de mes obligations militaires, je rentrai à la société des pétroles Shell, comme secrétaire de direction bilingue. J’y effectuai 35 années de bons et loyaux services, du 14 février 1946 au 31 mai 1981. Avec un patron de nationalité britannique, je pouvais relater mes années de jeunesse à Londres !

 

A la Shell, j’étais fondatrice et présidente de la Section Equitation de notre club sportif. Je donnais des leçons, généralement le soir ; parfois le samedi et le dimanche. Un jour, c’était en 1951, un beau jeune homme vint prendre quelques leçons. Et voilà comment quelques temps plus tard, Roger devint mon mari ! ».

 

Aujourd’hui, Paulette Levalleur-Steudler est chevalier de la Légion d’honneur, titulaire de la médaille militaire, médaille de la France Libre, médaille de la Reconnaissance Française, médaille d’or de la Jeunesse et des Sports, médaille de Vermeil du Souvenir Français, Administratrice nationale honoraire de la FNCV (Fédération Nationale des Combattants Volontaires), membre de nombreuses associations patriotiques, dont l’Union des Gaullistes de France.

 

 

 

 

 Paulette Levalleur

 

  

Paulette Steudler, à Londres pendant la Seconde Guerre mondiale (copyright FNCV).

 

 

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Publié le 11 Juin 2011

 

 

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Staline, Roosevelt et Churchill à la conférence de Téhéran en 1943.

 

L’aviateur allié.

 

L’imagerie populaire et le cinéma montrent, où montraient dans les années 60 et 70, l’aviateur allié de la Seconde Guerre mondiale comme un beau garçon venant en France pour sauver le pays… et accessoirement séduire les jeunes femmes. C’est bien connu, les meilleures femmes dans le monde étant les Françaises ! Rappelons le fringuant britannique appelant Bourvil « joli-papa » après avoir laissé le plus beau des souvenirs à sa fille. Rappelons-nous « Big-moustache » et ses acolytes dans « La grande vadrouille ». L’aviateur-séducteur a encore de beau jours devant lui, n’en doutons pas. Il n’en demeure pas moins vrai que la réalité a certainement été faite de ce genre d’aventures, mais aussi que certains carrés militaires des Hauts-de-Seine en racontent des moins drôles.

 

C’est le cas à Clichy-Nord où la majeure partie des sépultures des soldats du Commonwealth concernent des pilotes, des mécaniciens, des navigateurs, des radios ou encore des mitrailleurs (il y a là des Australiens, des Canadiens, un Néo-zélandais et des Britanniques). C’est le cas également à Clamart où se situe la tombe de Ronald Frederick Howell, sergeant à la Royal Air Force, Squadron 640. Son avion est abattu le 25 juillet 1944, alors qu’il est mitrailleur à bord d’un bombardier Handley Page Halifax, et qu’il est en mission de bombardement sur la ville de Stuttgart en Allemagne. Les autres membres de l’équipage réussissent à se sortir vivant de l’accident mais ils sont faits prisonniers. Certains parviennent à s’échapper. Une plaque porte l’inscription suivante : « In Memory of Ronald Frederick, english aviator, who died for France, 25 juillet 1944. This tablet is erected by a Norwegian lady in sympathy – R.I.P.”.

 

A Clamart, une autre stèle a été érigée à la mémoire d’aviateurs alliés. Elle se trouve dans le bois au lieu-dit de la Croix Blanche, et rassemble les restes de quatre Américains, membres de l’U.S.A.A.F. (United States Army Air Force), 418th Squadron, 100th bomb groupe. Il s’agit de Alf Aske, second lieutenant, Gordon E. Davis, second lieutenant, Stuart R. Allison, technical sergeant, Robert F. Williams, technical sergeant. Leur avion est abattu le 11 août 1944, alors qu’ils œuvrent dans le cadre de l’opération Royal Flush de destruction de l’aérodrome de Villacoublay. Cette opération est l’une des multitudes missions liées à l’opération d’envergure Bodyguard.

 

 

L’opération Bodyguard.

 

Au cours de la Seconde Guerre mondiale, la guerre menée par les services secrets a été considérable et elle s’est notamment illustrée à l’occasion d’une opération particulière : Bodyguard. Ce nom provient d’un discours de Winston Churchill : « In wartime, truth is so precious that she should always be attented by a bodyguard of lies”, ce qui peut, approximativement se traduire par : “En temps de guerre, la vérité est si précieuse qu’elle devrait toujours être protégée (par un garde-du-corps) par des mensonges ».

 

De fait, Bodyguard a un double objectif : apporter de fausses informations au Reich allemand, et une fois que les faits sont avérés, leur faire croire qu’ils vont se dérouler autrement. Et Bodyguard est un ensemble qui regroupe les opérations suivantes :

 

  • - Fortitude : dissimuler aux Allemands que le débarquement des Alliés se déroulera en Normandie ; puis, une fois qu’il est réalisé, réaliser des diversions afin d’empêcher l’acheminement de troupes vers la zone des combats.
  • - Fortitude Nord : présenter le château d’Edimbourg – y compris dans la presse – pour l’état-major d’une armée alliée, fantôme, s’apprêtant à organiser un débarquement en Norvège avec l’aide de l’Armée rouge. Ainsi, l’armée allemande va laisser stationner 17 divisions en Norvège et au Danemark, alors que la bataille principale vient de commencer en Normandie.
  • - Copperhead (« tête de cuivre ») : faire passer un acteur australien, Mr Clifton-James, pour le général britannique Montgomery et l’envoyer à Gibraltar et en Afrique du Nord pour intoxiquer l’ennemi en annonçant un débarquement imminent dans le sud de la France. Le plan marchera parfaitement puisque, évoquant le « plan 303 », l’acteur jettera le désarroi sur les services germaniques qui chercheront pendant des semaines ce que signifie ce plan.
  • - Quicksilver : principe identique d’une armée fantôme, américaine, avec le général Patton à sa tête.
  • - Mincemeat (« chair à pâté ») : en 1943, une fois la campagne d’Afrique du Nord terminée, l’objectif pour les Alliés est la Sicile, puis l’Europe continentale via l’Italie. Mais comment faire en sorte que les Allemands aient de fausses informations ? Les Britanniques optent alors pour une mission audacieuse. Ils récupèrent le cadavre d’un homme, lui place toute une série de documents privés (clés, photos personnelles, lettres d’amour…) et de faux documents officiels tendant à prouver que deux attaques en préparation : la première sur la Sardaigne puis sur la Corse ; la seconde sur la Grèce puis les Balkans. Ce plan marchera puisque le débarquement en Sicile ne sera pas des plus meurtriers.

 

Ainsi avec ces opérations, mais au prix du sacrifice de quelques-uns, des dizaines de milliers de vies, peut-être des centaines de milliers, ont été épargnées à la fin de la Seconde Guerre mondiale. Et Churchill a ajouté : « Il n’y a qu’une réponse à la défaite, et c’est la victoire ».

 

 

 

Sources :

 

- www.wikipedia.org

- www.evene.fr

- www.dday-overlord.com

- Anthony C. Borwn, Bodyguard of Lies, harper and Row.

- Donald C. Daniel, Strategic Military Deception, Pergamon Press.

- Major Jon S. Wendell, Strategic Deception Behind the Normandy Invasion, Air Force United States.

- François Bédarida, Churchill, Fayard.

 

 

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Publié le 18 Avril 2011

Siroco - Dunkerque

Le Siroco (copyright Bruno Pruvost).

 

« Irrésistiblement, il regarda la mer. Elle était là, immobile, brillante sous le soleil, avec, à l’horizon, cette légère vapeur blanche des beaux temps. Elle fascinait. On ne voyait qu’elle. Tous les yeux se tournaient vers elle ardemment. Une si petite mer ! Si petite qu’on l’avait franchie à la nage ! Et elle s’étendait là, si calme, si accueillante, sous le soleil. Cela paraissait si facile d’atteindre l’autre bord ! La pensée s’y élançait d’un bond, en une seconde. Et sur l’autre bord, un monde intact commençait. Sur l’autre bord, il y avait l’ordre, le calme, la sécurité. »

 

Ces quelques lignes sont extraites du roman Week-end à Zuydcoote (prix Goncourt 1949), dans le lequel Robert Merle décrit les pérégrinations d'un soldat français dans la poche de Dunkerque en mai 1940, après la défaite franco-britannique. Les plus cinéphiles se souviennent aussi de Jean-Paul Belmondo, interprétant le sergent Maillat, héro désabusé de cette fin de semaine à la fois cocasse et tragique, dans l’adaptation au cinéma par Henri Verneuil en 1964.

 

Robert Merle, agent de liaison  avec les forces britanniques, est à Dunkerque en mai 1940. Il ne rejoindra pas l’Angleterre : fait prisonnier par les allemands, il reste en captivité jusqu’en 1943. Dans le roman, le sergent Maillat trouve la mort le dimanche après-midi enseveli sous les décombres de la maison bombardée où il s’est réfugié avec son amie Jeanne. Jeanne, qu’il a sauvé quelques heures plus tôt de deux violeurs, soldats français comme lui.

 

Raymond Foison, soldat au 19ème Train, dont le nom apparait sur le monument aux morts de Châtillon, a lui aussi trouvé la mort dans la poche de Dunkerque, le 31 mai 1940, alors qu’il est passager sur le torpilleur le Siroco, lors de l’opération Dynamo. Déclenchée le 21 mai 1940, celle-ci a pour but d'évacuer les effectifs des armées alliées britanniques regroupées dans la poche de Dunkerque à destination de Douvres.

 

Le Siroco, une des dix-huit unités de la deuxième flottille de torpilleurs, est commandé par le Capitaine de Vaisseau de Toulouse Lautrec. Dans les semaines précédentes, le valeureux bâtiment a déjà envoyé par le fond trois sous-marins, dont deux en un jour. Il a également manqué se faire couler, alors qu’il est en mission de soutien dans les eaux hollandaises : une bombe lâchée par un Junkers 86 touche le navire mais n’explose pas.

 

Le 30 mai le Siroco quitte le port de Douvres pour rejoindre Dunkerque par la route du nord. Il doit forcer le passage pour atteindre la jetée dunkerquoise : un navire anglais en bloque l’entrée ! Selon les témoignages son but est d’empêcher l’accès du port aux bâtiments venus chercher leurs troupes !

 

En fin d’après-midi, le Siroco embarque sept-cent-cinquante soldats, dont le soldat Raymond Foison, et reprend la route Y, la plus longue, vers les côtes anglaises. Vers deux heures du matin, alors que le navire prend le tournant d’une bouée éclairée, deux torpilles lancées par un schnell-boot allemand foncent sur lui par l’avant. Le commandant de Toulouse Lautrec fait éviter de justesse les engins de mort par une déviation rapide. Malheureusement deux autres torpilles atteignent le navire français sur son arrière, arrachant les deux hélices et occasionnant une voie d’eau.

 

Alors que le commandant demande par radio de l’aide qui ne vient pas assez tôt, un avion stuka ennemi qui rôde dans les parages repère le Siroco et pique sur lui malgré le feu des mitrailleuses du bord. Le stuka lâche deux bombes. La soute à munitions explose, emportant la moitié arrière du bâtiment, et entraînant dans la mort tous ceux qui s'y trouvent. Le Siroco coule en quelques minutes, son étrave dressée vers le ciel. Quelques hommes peuvent monter dans les radeaux de sauvetage.

 

Malgré l’arrivée à la rescousse d’un contre-torpilleur polonais et d’un paquebot anglais, le sauvetage est rendu particulièrement difficile par les grandes quantités de mazout libérées dans la mer. Le bilan est lourd, très lourd : six-cent-quatre-vingt morts ou disparus. Seuls deux cent soixante dix survivants sont recueillis.

 

Lors de l’opération Dynamo, trois-cent-trente-huit-mille-six-cent-quatre-vingt soldats, dont cent-vingt-trois-mille Français, sont ainsi débarqués en Angleterre. Cette évacuation maritime entraîne la perte d'un tiers des trois-cent-trente-six navires engagés. Elle cesse le 4 juin 1940: les Allemands viennent d'envahir la ville de Dunkerque.

 

 

Antoine Junqua.

 

 

Sources :

 

Week-end à Zuydcoote, Robert Merle, Ed. Folio

Site « Epaves au large de Dunkerque », http://dkepaves.free.fr/

 

 

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