Le Service du Travail Obligatoire - 1/2, par Luc Tessier.
Publié le 14 Août 2011
Comme toutes les communes des Hauts-de-Seine, et d’ailleurs, La Garenne-Colombes a eut à souffrir du Service du Travail Obligatoire (S.T.O.) pendant l’occupation allemande de la Seconde Guerre mondiale. Parmi les victimes civiles de ce conflit, et qui sont nombreuses dans le carré militaire de cette ville, figurent bien souvent des hommes morts en Allemagne du fait de ce STO.
Exploiter les ressources françaises.
La relation qui s‘établit entre la France et l’Allemagne à partir de la défaite de juin 1940 se caractérise par une mise en exploitation progressive de l’ensemble des ressources de la France au service de l’Allemagne. Si le S.T.O. n’en constitue qu’un aspect parmi d’autres, il s’inscrit dans un contexte plus global de collaboration économique de la France au service de l’Allemagne. Malgré l’ampleur des spoliations, il ne fut jamais pour le IIIème Reich qu’un pis -aller destiné à redresser une situation de son économie de guerre de plus en plus difficile. Du côté français, malgré tous ses renoncements, le gouvernement de Vichy ne fut jamais en mesure de s’opposer aux exigences allemandes, ni même en situation de les satisfaire pleinement.
Entre septembre 1940 et la fin 1941, pendant la première partie de l’Occupation, les autorités allemandes se contentent d’une politique de pillage des actifs économiques les plus intéressants. Du point de vue de l’armée allemande, la France doit d’abord fournir des moyens économiques nécessaires à de futures campagnes militaires. Au cours de cette période, des usines jugées stratégiques sont mises sous séquestre, les matières premières et les machines outils sont emportées en Allemagne. Albert Speer, un des principaux dirigeants nazis et artisan majeur de la mobilisation économique du Reich, a souligné, à plusieurs reprises dans ses mémoires(1) cette vision trop optimiste et surtout erronée d’une guerre à court terme. Dès 1942, il estime qu’il manque, dans l’industrie allemande, un million d’hommes nécessaire à la production de guerre(2). Il déclarera, après la guerre, que le retard pris par l’Allemagne pour la mobilisation totale de ses ressources productives en 1940 et 1941 fut certainement sa plus grande erreur stratégique à l’origine de sa défaite finale. Il exercera une influence déterminante dans le glissement rapide d’une politique de pillage vers une politique plus rationnelle de mise en exploitation maximum du potentiel économique des pays occupés.
Dans cette nouvelle configuration, l’industrie française doit assurer une fonction primordiale de sous-traitance auprès de l’industrie allemande. Dès l’été 1941, dans les secteurs jugés prioritaires, les entreprises françaises sont submergées par les commandes de leurs partenaires du Reich. Cette politique ne se met pas en place sans quelques contradictions et ratages, y compris du point du vue de l’occupant et de l’efficacité économique des moyens industriels à son service(3).
Collaboration économique active.
A partir de 1942, une collaboration économique active de la part des entreprises françaises, des carnets de commandes pleins et des flux de production orientés quasiment exclusivement vers l’Allemagne ne les protègent pas systématiquement des réquisitions possibles d’outillages et de personnels(4). Si la France ne subit pas les mêmes exactions et la mise en coupe réglée des territoires situés à l’Est, le pays devient pourtant le meilleur fournisseur industriel de l’Allemagne. Il utilise pleinement sa main-d'œuvre pour cette production : plus de deux millions de salariés travaillent en France pour le compte de l’Allemagne. Les indemnités journalières prévues par la convention d’armistice s’élèvent à environ 400 millions de francs par jour dont une part très importante sert à financer les achats allemands. Ainsi en 1943, en France, 50% du trafic ferroviaire, 80% de la sidérurgie, 85% de la branche automobile, 90% de l'aéronautique, l'essentiel du BTP sont au service exclusif de l'effort de guerre allemand. Des secteurs moins directement stratégiques ont également largement contribué à l’effort. Ainsi sur l’ensemble de la période 1940-1944, l’industrie électrique française a assuré plus de 30% de son activité à partir des commandes allemandes.
De tels niveaux de production ne peuvent pas être réalisés sans une acceptation, voire une recherche systématique, des commandes allemandes. La collaboration économique du patronat français a fait l’objet de nombreuses enquêtes et poursuites judiciaires à la Libération. A la décharge des industriels, ils n’ont pas à l’époque de nombreux choix alternatifs. Les usines refusant de collaborer avec l’occupant risquent la réquisition immédiate, voire le démantèlement et le transfert des outillages vers l’Allemagne dès lors qu’elles comportent le moindre intérêt stratégique pour l’occupant. L’armée allemande est, à cette période, le seul client payant ses factures rubis sur l’ongle. La justification principale avancée après-guerre pour la défense des industriels à la collaboration économique est plus subtile : la production locale au service des commandes de l’ennemi permettait de conserver une production nationale à destination du marché français. Non sans une part de vérité, il s’agissait de protéger l’emploi local et l’outil de production sur le territoire. Ces argumentaires de défense seront très souvent utilisés par des directions d’entreprises. Le cas de Louis Renault est emblématique de la période. Il meurt en octobre 1944 certainement victimes de mauvais traitement dans sa cellule à la Prison de Fresnes. Son crime n’est pas d’avoir organisé la réouverture de ses usines au service de l’Allemagne mais d’avoir utilisé la période pour mener une politique de répression antisyndicale qui a conduit directement plusieurs militants syndicaux de l’entreprise en déportation. Pour éviter un chômage de masse, la production chez Renault redémarre en octobre 1940 avec l’assentiment de la CGT. Les usines Renault sont alors un cible évident pour les alliés et très largement détruites par un bombardement anglais en 1942(5).
A Lyon, Les usines Berliet suivent la même trajectoire et la même accusation de répression antisyndicale conduira Marius Berliet en prison. Le second argument de défense des industriels souligne l’importance des actions de résistance menées dans les ateliers. Le sabotage et le freinage de la productivité sont des moyens certains de se soustraire aux exigences allemandes. Pour lutter contre ces résistances, les autorités allemandes ont systématiquement renforcé leur contrôle sur la production. En septembre 1943, à la suite d’un accord signé entre Albert Speer et Jean Bichelonne, le ministre français de la production industrielle, les entreprises françaises les plus stratégiques mobilisées dans la production de guerre sont directement placées sous le contrôle d’une entreprise allemande « marraine » chargée de diriger l’ordonnancement des productions, y compris dans certains cas avec l’envoi de techniciens allemands pour superviser directement les ateliers sur place.
Remplacer les travailleurs allemands.
A partir de l’année 1942, les premières difficultés sérieuses rencontrées par l’armée allemande sur le front russe amènent le gouvernement du Reich à accentuer la pression exercée sur la population allemande. Un nombre croissant de travailleurs allemands, non indispensables à la production industrielle, sont mobilisés et envoyés au front en Russie. L’Allemagne nazie perd alors rapidement ses illusions d’une guerre courte et victorieuse permettant d’épargner à la population civile des efforts démesurés. En raison de la diminution rapide de la main d’œuvre nationale disponible, les entreprises du Reich se voient contraintes à utiliser une main d’œuvre étrangère, souvent très peu formée, pour éviter la paralysie totale de leurs activités ou, pire encore, la réquisition administrative de leurs usines par les autorités. Leur situation et leurs options ne peuvent pourtant se réduire à la seule contrainte exercée par les autorités politiques. Dans certains cas, les stratégies d’optimisation économique des capacités de production et de rentabilité ont pu amener les entreprises allemandes à privilégier l’emploi systématique d’une main d’œuvre de travailleurs étrangers forcés plutôt que de recourir à des investissements beaucoup plus coûteux pour développer leur production(6). Elles choisissent alors clairement de substituer le capital par du travail bon marché.
Entre 1939 et 1945, au fur et à mesure de la dégradation de la situation économique et militaire du Reich, il est possible de caractériser une trajectoire des grandes entreprises industrielles allemandes. Au-delà de toute considération morale, la situation de ces entreprises évolue d’une situation relativement favorable au début de la guerre où la production civile et militaire est réalisée exclusivement avec des travailleurs allemands, vers une situation de plus en plus dégradée du point vue de l’efficacité industrielle. L’utilisation massive de travailleurs étrangers peu coopératifs pour assurer une production de plus en plus militaire et de moins en moins civile n’a pas contribué à optimiser l’efficacité de l’appareil industriel ni à satisfaire les besoins de base de la population, entrainant par là même un divorce progressif entre la population allemande et le gouvernement.
Dans les derniers mois de la guerre, la situation catastrophique du Reich amènera les dirigeants industriels allemands à utiliser presque systématiquement des travailleurs forcés pour simplement assurer une production minimum d’armement. Le déplacement à l’Est, pour des raisons de sécurité, des activités industrielles très menacées par les bombardements massifs des anglo-américains est organisé à grande échelle. Les plus grandes entreprises allemandes utilisent alors systématiquement des travailleurs fournis par l’administration SS des camps de concentration avec les résultats humains que l’on connait. Pour autant, ces entreprises n’ont pas complètement perdu certaines marges de manœuvre. Les travaux des historiens allemands ont montré que les conditions matérielles d’existence des travailleurs forcés recouvrent une grande diversité de situations locales en raison des comportements personnels des ingénieurs, des contremaitres et des chefs d’entreprises en charge de l’organisation pratique de l’exploitation de la main d’œuvre(7).