L'exode de Madame Allard.

Publié le 23 Août 2014

 

Exode 1939 Villeneuve la Garenne

Madame Anne-Marie Bouy, du Souvenir Français de Villeneuve-la-Garenne, est née après la Seconde Guerre mondiale. Mais elle parle ici de souvenirs racontés par sa mère, Simone Allard : le départ précipité de la famille de Paris, en 1939.

 

« 39-40, la dernière guerre. La drôle de guerre ! On a tous un souvenir vécu ou transmis de cette période. Celui-là m’a été souvent raconté par maman. Avec à chaque fois autant d’émotion. L’exode… A cette période, les Parisiens quittèrent leur domicile. Direction le sud, car l’ennemi arrivait. Paris allait être envahie, le peuple avait peur. Il partait à pied, en voiture, avec une carriole à cheval ou à bras. Ma famille n’échappa pas à ce départ massif. Septembre 1939 : papa était mobilisé en Seine-et-Marne, à May-en-Multien, près de Lagny. Il fit dire à maman : « Pars, Paris va être prise, pars chez ton grand-père à Conforgien, près de Saulieu ».

 

Maman organisa alors le départ. Mon frère aîné Jean-Claude y participa – il était alors âgé de 5 ans – en rassemblant en quelques minutes ce qui lui semblait être essentiel. Un bruit ! Quelqu’un frappait à la porte. Maman ouvrit : la cousine Juliette. Elle était enceinte. Elle avait rencontré un jeune homme, qui s’était sauvé en apprenant la grossesse. Comme Juliette, orpheline de ses deux parents, vivait chez tonton Edouard, et que celui-ci était plutôt strict, elle avait été tout simplement mise à la porte. « Je pars chez grand-père à Conforgien, lui dit maman, viens donc avec nous. C’est ton grand-père aussi ! ».

 

Direction la gare de Lyon. Il y a du monde partout. Tous veulent entrer pour quitter Paris. A peine les portes ont-elles été ouvertes qu’il faut les refermer aussitôt. C’est l’émeute ! Des trains sont à quai. Ils sont bondés. Ils doivent partir, mais quand ? Les agents l’ont dit. Partiront-ils vraiment ? Maman et Juliette montent dans un train vide, qui doit normalement rester à quai. Le petit Jean-Claude peut enfin se reposer. Le temps passe, la fatigue l’emporte. Les trois passagers s’endorment. Ils sont réveillés bien plus tard par le ballotement du train ! Panique… Maman s’aperçoit qu’ils sont restés seuls. La meilleure tactique consiste à rester discrets et attendre que le train s’arrête. Il fait d’abord une halte à Auxerre. Un machiniste descend. Le train repart. Il semble se diriger vers le Morvan. Vaille que vaille ! Quelques heures plus tard, nouvel arrêt : Saulieu ! Dieu soit loué. Voilà les deux femmes et l’enfant presque arrivés à bon port. Mais Saulieu n’est pas Conforgien, il reste plusieurs kilomètres à faire.

 

Arrivés en centre ville, Maman appelle une vieille amie dont le mari est chauffeur de taxi et tout le monde se retrouve dans la soirée chez les grands-parents. Mais ceux-ci ne peuvent les accueillir. Le lendemain matin, un oncle et une tante passent et sont étonnés de leur découverte. Pas de radio ni de télé, peu de journaux informent les populations de la panique des Parisiens. Ils emmènent les réfugiés chez les cousines Adrienne et Yvonne. Le temps pour elles de prévenir le maire, celui-ci se débrouille pour faire ouvrir une maison qui servira de refuge (il s’agit d’une maison de vacances). Ainsi, Juliette, maman et le petit Jean-Claude y habiteront quelques mois. Juliette accouchera en décembre 1939 d’une petite Maryse. La maman et l’enfant repartiront sur Paris en 1940. Maryse, en tant que pupille de la Nation, sera confiée aux soins d’une institution à Auffargis, dans l’Essonne. Malheureusement, l’établissement sera bombardé le 14 juillet 1944 et l’enfant trouvera là une mort terrible. Elle repose à Bièvres, dans un carré de quatre petits. Maman aura été une éphémère marraine…

 

Quel destin tragique pour la pauvre enfant. Un destin que se renouvelait, hélas. La maman de Juliette, Marie Lombardi, avait rencontré un jeune gars du nom de Robert Anthony. Il était mort dans les tranchées de 14-18 et elle d’une phtisie galopante. La petite Juliette ayant été conçue le temps d’une permission… Je n’ai jamais su où est enterrée Marie Lombardi. Quant à Robert, son nom figure sur une colonne du cimetière de Levallois-Perret. »