Publié le 16 Juin 2013

 

Oradour Puteaux 2 SFDG

 

Le Comité du Souvenir Français de Puteaux est reçu en Délégation de la Ville de Puteaux par Monsieur Raymond Frugier, chevalier de la Légion d’Honneur, commandeur dans l’Ordre National du Mérite, commandeur des Palmes Académiques, maire d’Oradour-sur-Glane.

Lors d’un accueil très chaleureux au sein du salon d’Honneur en sa mairie, Monsieur le Maire dans son discours de bienvenue a évoqué la tragédie du 10 juin 1944. Il a souligné son profond attachement au Devoir de Mémoire et son action permanente pour la conservation des restes du village martyr.

 

Madame Den Marais-Hayer, Présidente et, Monsieur Jean Michel Fouquet, Vice- Président du Comité, ont remis au nom de Madame Joëlle Ceccaldi-Raynaud, maire de Puteaux, la Médaille de la Ville, ainsi que le Diplôme d'honneur à Monsieur Raymond Frugier en présence de Monsieur Dugot, Délégué Départemental de la Haute Vienne et de Madame Dugot, Présidente du Souvenir Français de Nexon-Oradour.

 

Cérémonie d’hommage.

 

Ce fut un moment d’intense émotion et de recueillement lorsque fut déposé devant le « Monument aux Martyrs », la gerbe de fleurs de la Ville de Puteaux, avec à nos cotés Monsieur le Maire d’Oradour, entourés des drapeaux ainsi que notre Délégation.

 

Non la mémoire n’est pas sans voix !

L’objectif diabolique de la division Das Reich traversant nos campagnes était d’effacer par le feu l'existence d'une population innocente, éprise de liberté, de la faire taire à jamais. A travers ces murs, ces rues désertes, nous entendons ces hurlements d’effroi et de souffrance d’un peuple opprimé. Rester muet devant l’horreur, c’est refuser de transmettre cette mémoire aux vivants, c’est faire affront à Monsieur Hebras, survivant, ainsi que tant d’autres disparus.

Ils vivront toujours et donneront longtemps de la voix à travers nous.

 

La dignité et la pudeur de nos sentiments, le respect des lieux, n’implique pas le silence et l’absence de pleurs, regardons cet endroit de notre France avec notre cœur et avec notre âme et souvenons nous! 

Nos plus vifs remerciements vont à Monsieur le Maire d’Oradour Raymond Frugier pour avoir été à nos cotés toute cette journée, à tous ses collaborateurs, à la Municipalité, à Monsieur Dugot, Délégué Départemental, à Madame Dugot Président du Comité de NEXON à nos porte-drapeaux ainsi qu’a tous les Putéoliens qui ont répondu présents à ce voyage.

 

2013 © photos de Philippe Coudeyrat, les textes de Jean-Michel Fouquet et Den Marais-Hayer

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Publié le 8 Juin 2013

 

Saint-Cloud, Monsieur François Leblanc-Barbedienne.

A l'exception de quelques méticuleux historiens, peu de gens vous diront la date exacte du début des évènements d'Algérie. Là-bas, les mouvements nationalistes s'enflent puis s'étouffent depuis longtemps. En 1945, les émeutes de Sétif marquent un tournant définitivement hostile. L'assassinat d'un instituteur dans les Aurès en 1954 reste encore l'illustration, dans les livres des collèges, du départ de l'insurrection.

 

Ce moment dramatique détermine l'avenir pour les dix années suivantes car, dans cet ensemble nord-africain composé de trois départements français, le frère algérien devient peu à peu comme un probable suspect, et le pied-noir comme concurrent puis rival armé. La décolonisation, le droit des peuples à disposer d'eux-mêmes, les souffles libertaires en Europe et dans le monde vont déclencher en métropole une fracture sociale entre deux fronts, l'un pour la paix en Algérie et l'autre pour l'Algérie Française. Ce que l'on appellerait aujourd'hui un débat sociétal, les désordres et la fin pitoyable de la IV° République, et la décision d'une pseudo-guerre agréée par un parti majoritaire d'obédience pacifiste, vont proposer à la jeunesse française une mobilisation générale.

 

La précédente guerre mondiale est encore récente mais, le savaient-ils, ces élus de la politique, qu'en appelant des hommes du contingent par centaines de milliers, ils envoyaient des jeunes gens pour trente mois vers un risque mortel ? Le savaient-ils aussi, ces mêmes responsables, qu'en appuyant leur politique, ils envoyaient au combat des étudiants, des ouvriers ou des agriculteurs, et les écartaient des Trente Glorieuses qui animèrent la France avec un plein-emploi, une natalité rassérénante et un produit national supérieur à 5% ? Pour tous ceux qui furent appelés, qu'importe la date de départ des événements ! La seule qu'ils avaient en mémoire est celle de leur convocation dans une caserne. Le hasard géographique de leur affectation les qualifiait par avance en cavaliers, fantassins ou artilleurs.

 

Le déroulement était réglé comme du papier à musique : Conseil de révision où le Médecin-Major – besoin d'effectifs oblige – déclarait chacun "bon pour le service". Un peu sourd, un peu myope, impotent d'ici ou de là, marié, père d'un enfant, peu importe ! Au suivant ! La séparation était d'autant plus douloureusement surprenante que les frontières de l'hexagone n'étaient pas menacées. Aucun ogre teuton, prussien ou nazi ne menaçait la ligne bleue des Vosges, personne qui vienne jusque dans nos bras égorger nos fils et nos compagnes...

 

La période des classes inaugurait l'aventure avec le parcours du combattant, les marches de nuit, les corvées, les piqûres médicales etc... La montée aux enfers, c'était le train pour Marseille, les quarante-huit heures au camp Sainte-Marthe, purgatoire pour tous les partants et le voyage en bateau vers Alger, Oran ou Constantine, moment de navigation hors du temps sur le "Ville d'Oran", de récente construction ou du Sidi-Ferruch, vieux steamer en fin de course. De là, chacun était conduit vers son poste d'affectation par train, car, GMC, camion Berliet, 4x4, et autres Jeeps pour regagner le site de sa propre guerre. Le quadrillage, principe d'occupation retenu par l'Etat-Major, imposait une présence militaire dans chaque région, chaque douar, chaque village, couvrant ainsi le territoire de la Côte à Colomb-Béchar, tout au long des frontières tunisiennes et marocaines, et dans la Kabylie, les Aurès, le Djurdjura ou la région d'Aïn-Temouchent.

 

L'installation des lieux ne peut que provoquer l'étonnement. Tout est "U.S." ou presque ! Ce sigle indique que tout ce qui est proposé sous cette enseigne ne provient que de l'approvisionnement de l'armée américaine laissé sur place après la seconde guerre mondiale : casques lourds et légers, treillis, fusils Garant, mitrailleuses de 50 et 30 centièmes de pouce ( la fameuse 12,7 ), ceinturons, rations alimentaires, radios, obusiers, Fusil-mitrailleur Bar, avions de chasse T-6 et Skyraiders et même le fameux caleçon U.S. Seule, la mitraillette française de 9 mm. MAT-49, demeure l'arme favorite des voltigeurs.

 

Et, l'installation faite, c'est seulement là que commence pour chacun son histoire algérienne, car la narration ultérieure des historiens, sincère ou inspirée, ne relève que de l'addition globale de la vie individuelle de chaque combattant. Comme le lieu d'affectation, la date de convocation bouleverse le souvenir que chacun conserve de sa propre histoire. Ceux des années 57 ou 58 affrontaient des katibas entières lourdement armées. Les opérations lancées par le Général Challe ont considérablement affaibli l'armée rebelle, limitant ainsi les katibas à des commandos, moins nombreux, bien armés mais plus meurtriers par la promptitude de leurs mouvements.

 

Avant d'être dite "guerre", par la loi tardive du 18 octobre 1999, la manœuvre ne concerne que la pacification et la contre-guérilla. La première s'exerce par l'école, l'infirmerie, les soins, l'assistance manuelle aux travaux du village, et la seconde par la lutte particulière qu'impose l'angoissante présence d'un ennemi invisible. L'exercice quotidien, c'est le "chouf", observation discrète de ceux que l'on appelait les "fellaghas". C'est l'embuscade autour du village, dans une orée de la forêt ou dans un tournant de piste. . C'étaient aussi les ratissages dans les lieux supposés protéger des caches comme les oueds, l'eau courante aidant la salubrité corporelle du rebelle, les massifs montagneux d'escalade difficile et les forêts particulièrement denses.

 

La section AFN de base, commune à toutes les armes, se composait d'une trentaine de soldats, cinq éclaireurs-voltigeurs à l'avant, autant à l'arrière, un chef d'équipe, aspirant ou sous-lieutenant, suivi de son "radio", puis, sous les ordres d'un sergent ou maréchal des logis, une équipe de fantassins, avec fusil lance-grenades et un fusil-mitrailleur. La liaison restait constante avec un commandant de compagnie aux appellations du genre "Grand soleil", "Athos" ou "P.C. Autorité". Cette section s'insérait dans une Compagnie ou occupait seule un piton dans une vaste mechta cernée par des barbelés et dominée par un mirador coiffé du drapeau français. De tous les combats auxquels il a participé, le soldat se souvient - bruit qui l'accompagnera longtemps -, du vacarme fracassant des balles lorsqu'il actionne la détente, et du bruit plus chuintant des coups ennemis qui l'ont manqué... Il se souvient aussi de ces opérations inter-régimentaires, où sa section était larguée par des bananes "Sikorsky", à deux mètres du sol sur un terrain pentu et caillouteux, en appui d'un gigantesque ratissage , où, comme à la chasse au faisan en Sologne , les rabatteurs poussent les rebelles vers les tireurs, avec l'appui des B-23, des tirs au canon de 20 des T-6, et par le largage par des avions Skyraiders venus d'Alger, de "bidons spéciaux", appellation républicaine du napalm, à l'explosion sourde aux nécrosantes fumées noires et rouges.

 

C'est au retour au poste, en buvant une bière tiède au foyer, que chacun apprendra le nombre de morts et de blessés lors de cette opération. Quelques fois, l'un des leurs a, selon leur propre sabir, dégusté ! En pleine nuit de retour, une grenade défensive lancée de nulle part. Il s'écroule, retient ses boyaux et geint "Maman...! ". Appel radio, l'Alouette III sanitaire de la Croix-Rouge, transfert à l'Hôpital Maillot à Alger. Le lendemain, le Chef de Corps passera la tête à l'entrée du foyer :" Votre ami, Messieurs.... soyez courageux...".

 

Pour tout soldat appelé, déjà en poste depuis plus de deux ans, arrivait enfin le Père Cent, centième jour avant la "quille" date de sa libération, moment arrosé qui était une sorte d'impunité pour la sécurité du bénéficiaire, ses chefs hésitant à l'envoyer en mission. Certains, dont je suis, ont connu dans les années 60, sur les transistors dont chaque appelé était pourvu, l'évocation d'une progressive, et déjà programmée décolonisation. Cette annonce déclenche chez certains FSNA, Français de souche Nord-Africaine, une inquiétude puis la détermination de trahir la nationalité française. En effet, l'indépendance acquise leur promettait la mort sans procès, pour trahison avec les Françaoui ! La seule solution était la fuite armée. Le chemin du salut n'avait qu'une seule voie pour quelques soldats français d'origine algérienne, attendre son tour de garde de nuit dans le mirador, appeler discrètement les rôdeurs embusqués, tirer à rafales entières à l'entrée du dortoir, embarquer quelques armes et disparaître vers les rebelles, assurés désormais de l'impunité.

 

Dans l'hexagone, les décideurs avaient changé de camp. Le libérateur de la France, poursuivant ses propos prophétiques des discours de Bayeux en 1946, et de Dakar en 1958, favorisait les entretiens qui devaient s'achever par les accords d'Evian et la signature d'un cessez-le-feu le 19 mars 62. L'indépendance de l'Algérie fut proclamée début Juillet 1962, mais les armes, celles de la vengeance, de la folle colère, de la dénonciation, du remords, ont continué à frapper, d'un côté comme de l'autre. Le 5 du même mois à Oran, reste une monstrueuse erreur, où plus de 700 français furent abattus devant une armée figée dans l'impuissance. Les harkis attachés volontairement et avec passion à notre cause en ont subi le prix sanglant. La valise ou le cercueil ! Promesse atroce faite aux pieds-noirs qui, au-delà de quelques exactions, ont, pendant plus d'un siècle, année après année, réalisé l'apport fraternel d'un monde nouveau dans cette France du sud.

 

* * * * *

 

Quand un conflit s'achève, il y a normalement un vainqueur et un vaincu. Mais lorsque l'appelé d'Algérie revient chez lui, il quitte son poste maghrében déjà occupé par des détachements de l'ALN, Armée de Libération Nationale, jusqu'alors planquée derrière la frontière tunisienne. Dans son petit village, sera-t-il accueilli comme le légionnaire romain avec ovation, couronne triomphale et toge curule ? Non, car, en fait, l'indépendance de l'Algérie dominait tous les autres sentiments. Celui qui était devenu " l'ancien d'Algérie " reprenait son travail, ses études. Sa fiancée, lasse de plus de deux ans de séparation, l'avait laissé tomber, ce qui n'égayait pas son moral. L'Etat, de son côté, faisait ses comptes . Le statisticien compte au couteau ! Trente mille morts. Qu'il ait tort ou raison, nous ne lisons pas "trente mille morts", mais trente mille fois un mort ! Sur la durée du conflit, celà fait dix par jour ! Imaginez dix cérémonies par jour dans la cour des Invalides...

 

Clausewitz disait que la guerre n'est que la prolongation de la politique par d'autres moyens ! Soit, mais honte à certains politiciens qui se cachent, lorsque tout tourne mal, derrière une vertu de papier, en accusant leurs affidés d'être des tortionnaires ! Propos complaisamment repris par la presse orientée, les petits Sartre du Café de Flore, et le cinéma engagé. Mai 68 arrivait et ses effets libertaires ne servaient pas l'illustration du guerrier. Alors, beaucoup se sont réfugiés dans des associations aux statuts marqués, comme dix ans plus tôt par les "pour" et les "contre".

 

Le Souvenir Français, dans sa pérenne universalité, a tenté de joindre les deux bouts.

 

Mai 2013. Le plus jeune d'entre nous est septuagénaire. Il est toujours présent aux cérémonies du 8 mai et du 11 novembre, avec son calot régimentaire, son Drapeau et ses décorations. Les guerres mondiales de 14-18 et de 39-45 sont gravées pour toujours sur l'honneur de la République. Mais les guerres dites coloniales, telles que racontées par des historiens partiaux ou orientés qui ne disent pas l'histoire mais qui expriment ce qu'ils en pensent, ne mobilisent plus les foules en liesse ! Et le septuagénaire, las d'être villipendé et brinquebalé dans les dates et les pensées, s'accroche à sa seule conscience et à son indiscutable honneur : avoir servi !

 

Dans un mutisme définitif, il se souvient du pays merveilleux de l'Algérie. Quand irons-nous skier sur les pistes du Djurdjura, nager au Club-Med d'Arzew, chasser le sanglier dans les Aurès, nous régaler des produits de la Mitidja d'Alger et boire une "gazouze" avec toi ? Belle et noble Algérie, riche, séduisante et sans dettes, à quoi te sert donc ton indépendance ?

 

Al hamdulilah !

 

 

François Leblanc Barbedienne

Lieutenant honoraire

Mobilisé le 4 nov. 1958 - Rayé des contrôles le 31 mars 1962

Mat. 55 750 -10948. - 60-61-Douar Azzefoun, Grande Kabylie

61° R.A. de la 27° DIA

 

Ancien président du Souvenir Français de Saint-Cloud.

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Publié le 2 Juin 2013

  Beneteau-1

André Beneteau est au premier rang. Il porte une écharpe.

 

Professeur aux Etats-Unis.

 

Né le 16 novembre 1890 à Thouars, dans le département des Deux-Sèvres, André Beneteau effectue son service militaire de 1910 à 1912. Il est comptable dans le Cher, à Saint-Amand-Montrond, quand l’ordre de mobilisation est donné. A son arrivée à Bourges, il est affecté au Service de Santé. Puis, à sa demande, il passe dans la « biffe » et est affecté au 132ème régiment d’Infanterie. Le 3 septembre 1914, il est commotionné par un éclat d’obus de 155, à Thiaucourt. L’année suivante, il est enseveli par un autre éclatement d’obus, à Tahure, en Argonne. En 1916, il passe canonnier au 37ème régiment d’Artillerie. Le 31 mars, il obtient une permission à caractère médical pour une angine. Ce qui lui sauvera certainement la vie : le déluge de bombes sur Verdun vient de commencer. En 1917, le 21 mars, devenu téléphoniste, il est intoxiqué par gaz, à la Butte du Mesnil. Il termine la guerre en passant par le 24ème puis à nouveau le 132ème RI, avec le grade de maréchal des logis.

 

Ordre de la 4ème Armée n°138 du 30 décembre 1916 : « Appelé dans le Service Auxiliaire, au début de la campagne, a demandé à passer dans le Service Armé pour servir plus utilement son pays. Deux fois volontaire pour le front, s’est toujours signalé par un très haut sentiment du Devoir. Le 3 octobre 1915, il a ramené dans les lignes françaises, sous un feu d’artillerie et de mitrailleuses extrêmement violent, un officier observateur grièvement blessé. Croix de guerre avec palme ».

 

Par la suite, André Beneteau reçoit également la Médaille militaire.

 

Aussitôt la guerre terminée, André Beneteau touche une bourse du Gouvernement français et part étudier aux Etats-Unis, à l’Université de Philadelphie, où il devient professeur puis acquiert le titre de docteur en philosophie et celui de Master of Arts. Il a notamment pour élève Margaret Mitchell, l’auteur d’Autant en emporte le vent. Il enseigne ensuite les langues romanes à la George Washington University et à la Catholic University de Washington DC, puis exerce la fonction de secrétaire de l’Attaché militaire de l’ambassade de France aux Etats-Unis. Chevalier des palmes académiques, André Beneteau se fait de nombreuses et solides amitiés dans le monde des arts et du spectacle, comme Maurice Chevalier, qui passe quelques jours chez lui, à chacun de ses déplacements outre-Atlantique.

 

En 1938, il est rappelé en France et exerce différents métiers. Après la Seconde Guerre mondiale, il vit plusieurs années à Montrouge. Puis il part enseigner dans le sud de la France, au sein d’établissements scolaires catholiques, en particulier à l’école Saint-Joseph et l’Immaculée Conception, situées à Lectoure dans le Gers. André Beneteau a écrit plusieurs ouvrages, dont une Etude sur l’inspiration et l’influence de Paul Verlaine (1927) et l’Escadrille Lafayette (1939), formée par des aviateurs américains qui combattirent pendant la Première Guerre mondiale. S’ajoutent de nombreuses histoires et nouvelles, publiées notamment par les journaux français Minerve, Candide, France Hebdo, La France, et le journal américain Liberty.

 

André Beneteau est mort à Lectoure, le 28 juillet 1962.

 

« Baïonnettes aux canons ! ».

 

Dans un ouvrage intitulé Confessions (Ed. Le Publieur), André Beneteau évoque, sous le couvert d’un récit romanesque, la sortie des tranchées de son régiment, baïonnettes aux canons, dans l’un de ces charges meurtrières sur la ligne de front en 1915 entre Bar-le-Duc et Verdun, à Saint-Mihiel.

 

«          - Je compte sur vous, hein, les gars ?

 

Le capitaine Magny, botté, sanglé, harnaché, se faufilait à travers les groupes, dans la tranchée où nous étions entassés, attendant le départ. Au milieu de l’enchevêtrement des longues et minces baïonnettes, tous les visages, avec la même expression hagarde et les mêmes yeux fiévreux, apparaissaient livides, sous les képis cabossés enfoncés jusqu’aux oreilles. Personne ne parlait. Chacun vivait farouchement, pour soi, ces dernières minutes. Au-dessus de nous, autour de nous, l’air tremblait, brassé, secoué par un bruit formidable. Des 75, en position derrière les crêtes dominant Flirey tiraient, déchaînés, à une cadence folle, que scandaient les détonations plus sourdes des 90, et les grondements des grosses pièces, les 155, cachés à la lisière des bois. Cela crépitait, craquait, tonnait, roulait en un fracas interrompu au milieu d’un ouragan. Des sifflements aigus, des ronflements saccadés, se croisaient, se multipliaient, si denses qu’ils paraissaient former une voûte.

 

J’étais au front depuis trois mois. Le régiment avait fait plusieurs séjours aux tranchées, été en soutien à Bernecourt, et au repos dans les bois de la Reine ou à Royaumeix. J’avais pris la garde, tiré à l’occasion, participé à une patrouille, vu des blessés et des morts. Mais c’était ma première attaque. Il s’agissait de couper le saillant de Saint-Mihiel.

 

J’avais pour voisin le caporal Augendre, cultivateur berrichon, et le soldat Luchet, comptable parisien, deux vétérans de Sarrebourg. Nous portions l’équipement d’assaut : cartouchières, musette avec un jour de vivres, bidon rempli de vin, toile de tente roulée en sautoir. Objectif : la deuxième ligne de tranchées allemandes, où l’on attendrait la seconde vague.

 

J’avais peur, et je n’étais pas le seul. Le maréchal Ney, connaisseur en bravoure, a décerné une épithète toute militaire aux gens qui prétendent ne jamais trembler. Je me raccrochais à ce que le capitaine Magny nous avait affirmé : la préparation d’artillerie serait telle que les tranchées ennemies auraient disparu, nivelées. L’affaire se passerait avec le minimum de dégâts.

 

Des pensées et des images se succédaient dans ma cervelle, par soubresauts, comme si le vacarme les pulvérisait. Par instants, j’avais la certitude de mourir, et j’étais plus angoissé par l’inquiétude de savoir comment que par l’idée de la mort elle-même. Dix secondes après, une voix intérieure me prophétisait que j’en réchapperais sans une égratignure. Puis les ressentiments lugubres me ressaisissaient. Je me représentais le désespoir de ma mère. Je revoyais mon existence : l’enfance heureuse à Chalon, l’étude Mousseron, l’étude Gobin, la bibliothèque du 95ème, mes longues journées de travail. Alors, une horreur et un dégoût atroces me prenaient pour les scènes de bataille et de carnage que j’avais décrites. Pauvre idiot ! Tu te passionnais pour la guerre ? Eh bien, tu y es maintenant ! C’est joli, hein ?… Je songeais à la tranquillité de ceux qui restaient « auxis », dans les bureaux. Dire que j’avais insisté pour être pris, et remercié le major en l’entendant prononcer : « Allons, bon pour le service armé » ! Mais enfin, il fallait rester fidèle à mon personnage, garder la pose. Impossible d’aller ailleurs, n’est-ce pas ? Alors, autant faire bonne contenance, et ne pas flancher, et subir mon destin sans passer pour un lâche !

 

Le lieutenant Fourcade vint se placer devant nous, et regarda sa montre. Des échelles courtes étaient dressées contre les parois pour faciliter l’escalade. Le bombardement continuait. Je me raidissais ; j’essayais de me prouver que les Allemands, démoralisés par cette avalanche de projectiles, ne résisteraient pas, ou très peu – que le capitaine Magny ne pouvait pas nous avoir trompés…

 

Justement, il revenait le capitaine Magny. Il échangea quelques mots avec le lieutenant. Encore une minute, deux peut-être… Alors, qu’on en finisse donc ! Cette attente était horrible. Je me rejetais vers la foi de mon enfance, bien oubliée ; je psalmodiais des Pater et des Ave. En cela aussi, je n’étais pas certainement le seul.

 

Attention !

 

La voix claironnante du capitaine avait retenti. Il tenait le bras levé et gardait ses yeux rivés à sa montre. D’un seul coup, l’effroyable pétarade s’arrêta net, laissant un silence qui vibrait encore. Seules, très loin, tonnaient les grosses pièces. Le capitaine, le premier de tous, grimpa l’échelle placée devant lui, et se dressa sur la parapet.

 

En avant ! Grenadiers en tête ! Première section, chicane de droite !

 

Des voix saccadées hurlaient des ordres. Une bousculade m’emporta. La compagnie montait, un hérissement de fusils et de baïonnettes dominant les képis ; je suivis le caporal Augendre et me hissai le long de l’échelle, poussé par l’homme qui me suivait. Je sentis sous ma main la toile gluante d’un sac à terre, et je me trouvai debout, en face de nos barbelés. Alors, je courus, les jambes flageolantes, emboîtant le pas au caporal, tandis que le sergent Monnier criait :

 

Allez, vite ! Pressez !

 

La chicane. Dix mètres de tours et de détours à travers les fils de fer. Puis, devant moi, un vaste espace vide, semé de trous d’obus et, tout là-bas, des piquets renversés, des remblais de terre…

 

A ma gauche, Luchet se ruait, le dos courbé, la tête rentrée entre les épaules, et je discernais ses mâchoires contractées sous ses joues hérissées de barbe. Je trébuchai sur le terrain bosselé, sautai par-dessus les entonnoirs, frais ou à demi-comblés. Tout le bataillon, qui formait la première vague, fonçait, en longues lignes de capotes bleu foncé barrées par les toiles tente jaunes.

 

Brusquement, une fulgurante décharge jaillit de l’horizon. Une bordée de sifflements et d’explosions nous enveloppa : de gros flocons noirs s’épanouirent dans l’air ; d’énormes éclaboussements giclèrent du sol. Les balles, les éclats, volaient, chuintant et crissant. Un grenadier, à dix pas en avant de moi, boula comme un lapin foudroyé. J’entendis Luchet jurer : « Nom de Dieu ! » et d’autres cris furent noyés sous le fracas du barrage. A droite, à gauche, devant, derrière, partout, des fusants éclataient sans interruption ni merci ; des éclairs flamboyaient ; la fumée tourbillonnait, et je me précipitais, affolé, assourdi, sous cette grêle… Soudain, une clameur déchirante :

 

A moi !

 

Luchet venait de tomber, blessé au visage, et je vois encore ses yeux exorbités à travers le sang qui ruisselait. Je ne m’arrêtais pas, emporté par la consigne, et par l’idée d’atteindre la tranchée allemande, de m’y terrer, d’être quelques instants à l’abri… Je vis le capitaine Magny qui gesticulait : des soldats obliquèrent vers lui ; Augendre me fit signe ; je suivis le mouvement. Des claquements vertigineux déferlèrent ; plusieurs camarades s’abattirent, fauchés pêle-mêle ; une rafale de balles piaula ; j’aperçus au ras du sol, un gros tube qui pivotait vers mois, et deux têtes rougeaudes, surmontées de casques pointus…

 

Un choc terrible à la cuisse gauche ; une demi-seconde de stupeur incrédule : «Ça y est ! » ; une sensation de nausée, et la chute molle, résignée, d’un corps qui n’en peut plus, se soumet, attend la fin ».

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