Il y a un an disparaissait notre ami Robert, dit « Bob » Maloubier. En juin 2015, le magazine TIM (Terre Info Magazine) avait publié dans son numéro 265 une interview de Bob Maloubier, racontant son aventure indochinoise. Il était alors l’un des derniers survivants des ces parachutistes qui avaient été envoyés en Indochine pour semer la zizanie dans les troupes japonaises.
Au service de Sa Majesté.
« Quand on est partis pour être largués sur le Laos, on nous a dit au briefing : « En arrivant au sol, vous trouverez peut-être des partisans pro-français et antijaponais qui s’appellent les Viêts quelque chose », confie Bob Maloubier, figure légendaire des Services spéciaux. « En fait, il s’agissait du Vietminh, les communistes vietnamiens, et ils n’étaient pas du tout pro-français. Quand on les a rencontrés la première fois, le 8 septembre 1945, ça a été notre fête ! ».
Bob Maloubier, comme quelques dizaines de jeunes officiers issus des forces spéciales ayant participé à la libération de la France, est envoyé dans le Sud-est asiatique pour combattre les Japonais qui occupent encore d’immenses territoires, dont l’Indochine française. Agé d’à peine 22 ans, il est capitaine et titulaire d’un palmarès exceptionnel. Parachuté comme saboteur en Normandie en août 1943, il opère clandestinement jusqu’en décembre quand il est grièvement blessé par balle. Exfiltré vers l’Angleterre, il revient en France dans la nuit du 6 au 7 juin 1944 pour encadrer les maquis limousins, harcelant les Allemands qui cherchent à rejoindre le front normand.
« On m’avait offert de me joindre à la Force 136 qui recrutait des agents pour des opérations contre les Japonais », continue M. Maloubier, plus tard fondateur des nageurs de combat français et un des créateurs du 11e bataillon de choc.
La Force 136 était la branche extrême-orientale du Special Operations Executive (SOE), le service action britannique qui coiffait toutes les nationalités qui allaient entreprendre des actions dans la région.
Force 136.
« C’était gigantesque : il y avait des Birmans, des Indiens, des Malais, des Chinois, des Anglais, des Sud-Africains et des Australiens. Beaucoup venaient des forces spéciales et avaient opéré en France, en particulier du SOE et des équipes franco-anglo-américaines Jedburgh. On a été récoltés comme les enfants perdus que nous étions pour continuer la guerre en Malaisie, en Chine, en Birmanie et en Indochine », poursuit M. Maloubier.
Les Français sont regroupés dans la French Indochina Country Section, le service action français pour l’Asie. Certains sont parachutés ailleurs qu’en Indochine, tel Pierre Boulle, planteur en Malaisie, qui plus tard écrira le roman Le pont sur la rivière Kwaï, basé sur ses expériences du combat en jungle. Les agents sont entraînés au Sri Lanka. « Nous étions des centaines d’agents et on parlait toutes les langues » s’amuse M. Maloubier. Le colonel Jean Sassi, alors sous-lieutenant, raconte dans ses mémoires (« Opérations spéciales, 20 ans de guerres secrètes », Editions Nimrod) que les Français reçoivent la visite d’un compatriote haut-gradé venant d’Afrique et sans aucune expérience de l’Asie. Il leur déclare que « le Japonais est un petit homme aux jambes torses habillé en vert. Mauvais tireur, il raterait un éléphant dans un couloir ».
Les instructeurs britanniques, vétérans des campagnes de Birmanie, modèrent le jugement. « Surtout, évitez le corps-à-corps. A la baïonnette, le soldat nippon est insurpassable. Il ne s’avoue jamais vaincu et pousse le fanatisme jusqu’au sacrifice. Ne vous approchez pas d’un cadavre avant de l’avoir inspecté ; il a peut-être été piégé par ses collègues. Même méfiance vis-à-vis d’un blessé : il vous attend peut-être avec une grenade dégoupillée. Pour eux, la vie n’est rien ».
Bob Maloubier est parachuté avec une petite équipe au Laos le 15 août 1945. Il doit harceler les Japonais. Puis, quand le Japon se rend après les bombardements atomiques de son sol, il rejoint le Vietnam comme administrateur de province. « Mais on s’est fait flinguer par les Viêts avant d’arriver, alors on m’a dit, vous êtes dans une province laotienne donc c’est vous qui l’administrerez ».
Tenir le Laos.
« Et on a tenu le Laos et empêché les Viêts de s’y installer. Les Vietnamiens étaient 30 millions d’habitants et nous n’étions au départ que 60 Français et plus 2.000 partisans laotiens qui ne pouvaient pas sentir les Viêts. On faisait le coup de feu et on bougeait continuellement pour donner l’impression que nous étions beaucoup plus nombreux. Mais moi je n’avais que 120 partisans et les autres missions à peu près les mêmes effectifs » se souvient M. Maloubier. « Si on a survécu, c’est parce qu’il y avait des grands espaces et la brousse et que les Japs s’étaient tirés du Laos. Mais ils avaient quand même laissé à la frontière les forces Viêts ».
Les maquis franco-laotiens vont tenir jusqu’en avril 1946 quand ils seront relevés par des troupes régulières françaises arrivées de Saigon.
Bob Maloubier est décédé le 20 avril 2015, quelques semaines après avoir accordé cette interview. Les honneurs lui ont été rendus aux Invalides à Paris le 29 avril.
NDLR : si l’Armée française et la Direction Générale des Services Extérieurs de la France ont rendu à Bob Maloubier l’hommage qu’il méritait, il convient de signaler que Sa Majesté la reine Elisabeth II, de visite à Paris, lui a elle-même remis les insignes de l’Ordre de l’Empire britannique.
Sources :
Terre Info Magazine n°265 – Juin 2015 – Texte de Bernard EDINGER.