La Vigie Marocaine – Edition du 1er juin 1954 (copyright Journaux-Collection.com)
Ce n’est qu’en 1999 que la France arrête officiellement de se cacher derrière les mots pour parler de son histoire récente avec l’Afrique du Nord. Depuis longtemps pourtant les gens de la rue, la presse, parlent couramment de la guerre d’Algérie quand l’Etat n’y voit que des « évènements ».
La loi n°99-882 du 18 octobre 1999 permet de remplacer dans tous les documents officiels l'expression « aux opérations effectuées en Afrique du Nord » par les mots « à la guerre d'Algérie ou aux combats en Tunisie et au Maroc », mettant ainsi en cohérence le langage officiel et le langage courant. Ce changement est d’importance car il fait explicitement mention des combats en Tunisie et au Maroc, qui sont bien moins présents dans nos mémoires que ceux de la guerre d’Algérie : l’Algérie était un département français, le Maroc et la Tunisie seulement des protectorats. La France ne pouvait pas se faire la guerre à elle-même.
Le soldat Jacques Pronzac, natif de Courbevoie et enterré au carré militaire de Garches, a 21 ans quand il embarque, le 18 mai 1953 pour rejoindre son affectation à la CTA (compagnie de transmission air) 806 de Rabat, au Maroc.
Un petit rappel historique parait ici utile pour bien comprendre l’état d’esprit dans lequel se trouve la France en 1953 à propos du Maroc. La France exerce un protectorat sur le Maroc depuis la convention de Fès de 1912. Le général Hubert Lyautey est le plus célèbre résident général, représentant la France auprès du sultan du Maroc. Sa gestion et sa diplomatie peuvent même être qualifiées d’éclairées. En 1925, lui succède une administration beaucoup plus coercitive et timorée. En 1927, le sultan Moulay Youssef meurt et laisse le trône à son troisième fils qui devient, à 18 ans, sultan sous le nom de Mohammed V ben Youssef (père d’Hassan II et grand-père de l’actuel roi Mohammed VI).
Au début des années 1930, Paris laisse entrevoir sa volonté de transformer le Maroc en une colonie, comme l’Algérie. Des ferments de révolte nationalistes apparaissent et la France fait un pas en arrière. Les esprits se calment avec la nomination en 1936 du général Charles Noguès, disciple de Lyautey, comme résident général.
Lors de la Seconde Guerre mondiale, les nationalistes marocains reprennent de l’audace et fondent en 1943 le parti de l'Istiqlal (indépendance en arabe) ; l’affaiblissement de la France avec l’occupation allemande et le débarquement anglo-américain en 1942 sur les côtes du Maroc donnent des espoirs de liberté. En 1943, le président américain Franklin D. Roosevelt fait même la promesse d’une complète indépendance au sultan Mohammed V, une fois le conflit terminé. La France s’entête encore après la Seconde Guerre Mondiale : les révoltes à Tanger, Fès ou Rabat contre le protectorat ne sont pas comprises. En 1950, Paris pousse le pacha de Marrakech, Thami El Glaoui à se révolter contre le sultan pour le renverser et mettre à sa place le chérif Mohammed ben Arafa, un vieillard. Mohammed V résiste à la transformation du Maroc en simple colonie, fait« la grève des sceaux » en 1951, et demande en novembre 1952, lors de son discours du Trône, l’émancipation immédiate de son pays. El Glaoui, toujours soutenu par la France et avec l’aide d’une vingtaine de caïds, signe une pétition de dénonciation agitant la possibilité d’une guerre civile.
Le soldat Jacques Pronzac arrive donc le 19 mai 1953 à Oran et passe dans la journée la frontière algéro-marocaine pour se rendre ensuite à Rabat. Les mois de juin et juillet sont pour lui une période d’instruction, toujours à Rabat. Prenant prétexte des révoltes, le gouvernement français dépose le sultan en août 1953 et l'exile en Corse avec sa famille. Paris met sur le trône Mohammed ben Arafa, mais en agissant ainsi ne fait que laisser grandir dans les esprits marocains le prestige du sultan déchu.
Les attentats contre la présence française se multiplient : attentats contre ben Arafa, déraillement d'un train, bombe au Marché Central de Casablanca... Les répressions et les arrestations menées par l’armée française sont de plus en plus nombreuses.
Le journal La Vigie Marocaine, féroce partisan d’un Maroc français, dénonce les activités des terroristes et dresse chaque jour dans ses colonnes la liste des exactions et des attentats. Dans son édition du 24 janvier 1954, il donne le bilan suivant : « depuis le 20 août 1953, soit en 164 jours, se sont déroulés 115 agressions, 99 incendies, 48 attentats par engins explosifs, 45 sabotages ».
Comme tous les appelés du contingent, Jacques Pronzac se tient informé des événements, un poste de radio collé à l’oreille. Il apprend le transfert du sultan et de sa famille sur l’île de Madagascar le 25 janvier 1954. Malheureusement, le jeune soldat ne verra pas l’évolution inexorable du Maroc vers l’indépendance. Il entre à l’hôpital Jean Vial au début du mois de février pour y soigner une maladie.
Le 7 février, Jacques Pronzac rend son âme à Dieu.
Pendant ce temps, la liste des actions continue à s’allonger, avec, entre autres, le 24 mai 1954, un attentat contre le Résident Général, le général Guillaume et le 30 juin de cette même année, l’assassinat du directeur du journal La Vigie, le docteur Emile Eyraud. Le 26 août, Pierre Mendès-France, président du Conseil, annonce à l’Assemblée nationale la création d’un conseil d’étude des réformes au Protectorat du Maroc.
Un an plus tard, après un nouveau massacre de colons français – cette fois à l’Oued Zem – et une riposte non moins terrible de l’armée française, Edgar Faure, qui a succédé à Mendès-France à la présidence du Conseil, engage les pourparlers avec les partis politiques et le sultan. Le 22 août 1955 une conférence s’ouvre à Aix-les-Bains. La France signe un document qui reconnaît la fin du protectorat et l'indépendance du Maroc le 2 mars 1956.
Le souverain revenu d’exil convertit son titre de sultan en celui de roi sous le nom de Mohammed V et le 7 mars 1956, annonce à son peuple le retour à l’indépendance. Le 7 avril suivant l'Espagne reconnaît à son tour l'indépendance avant de restituer un peu plus tard l'enclave d'Ifni et le littoral méditerranéen (à l'exception de Ceuta et Melilla). Le statut international de Tanger est aboli le 21 octobre de la même année et le grand port du nord retourne dans le giron du royaume.
La France, sortie depuis peu de la guerre d’Indochine, vient de « solder les affaires marocaines ». Mais déjà se profile en Algérie un nouveau conflit colonial...
Antoine Junqua.
Membre du Souvenir Français.
Sources :
· André Le Révérend, Lyautey, Fayard, 1983.
· Guy Delanoë, La Résistance marocaine et le Mouvement « Conscience Française », Ed. L’Harmattan, 1991.
· Michel Abitbol, Histoire du Maroc, Librairie Académique Perrin, 2009.
· www.herodote.net
· http://www.fnaca.org/ , Fédération Nationale Anciens Combattants Algérie, Maroc et Tunisie.
· http://www.cinquantenaire.ma/mohammed5.asp