Publié le 11 Juillet 2016
Le contexte.
Le front occidental est stabilisé depuis décembre 1914, à la suite de la course à la mer. Les combats de 1915 d’Artois et de Champagne n’ont rien donné. Le général Joffre est inquiet des pertes subies, du manque d’unité de vue et de la dispersion des efforts militaires chez les Alliés. Une belle attaque commune : voilà ce qu’il faudrait à la fois pour renforcer la coopération entre Français et Britanniques et pour percer les lignes allemandes.
Les conférences de Chantilly.
Décembre 1915 : au sein de l’armée britannique le général en chef John French est remplacé par Douglas Haig. Les 6 et 7 décembre 1915, à Chantilly, Joffre explique ses plans aux Anglais, mais aussi aux Italiens : il s’agit d’attaquer aux beaux jours, donc au printemps ou en été 1916, les Empires Centraux : aux Français et aux Anglais de préparer une offensive contre l’Allemagne, aux Italiens d’en préparer une contre les Austro-hongrois.
En 1916, l’armée britannique en France manque d’expérience, sa partie professionnelle, six divisions, ayant été décimée en 1914-1915. La plus grande partie de ses effectifs est composée de volontaires des forces territoriales et de la nouvelle armée de Kitchener. Les officiers ont été promus rapidement et manquent à la fois de formation et d’expérience. Haig collabore volontiers avec Joffre, mais il souligne l’indépendance du corps expéditionnaire anglais, le commandement n’est donc pas unifié. Que l’on se figure une armée du Commonwealth. Il y a là des divisions anglaises, et aussi Nord-irlandaises, néo-zélandaises, australiennes, indiennes, sud-africaines et canadiennes.
Le général Joffre monte donc cette offensive avec l’armée française comme acteur principal au sud de la Somme, qui doit être appuyée par le corps expéditionnaire britannique, moins aguerri, entre la Somme et Arras. Il nomme Foch commandant du Groupe d’Armées Nord, responsable de l’opération. Une autre conférence à Chantilly le 14 février 1916 fixe le début de l’offensive au 1er juillet 1916.
Mais un imprévu arrive : en février les Allemands lancent leur attaque sur Verdun. Joffre décide de dégager le front de la Somme pour alimenter le secteur de la Meuse. De fait, les Britanniques se retrouvent devenir l’élément principal de l’attaque de juillet 1916. Seules quelques divisions françaises vont les appuyer.
Le front.
Les Allemands sont positionnés sur presque toutes les hauteurs du front. Ils occupent la ligne de crête qui sépare les bassins versants de la Somme et de l’Escaut. Ils sont ainsi organisés leurs lignes : une forte première position, avec des tranchées de première ligne, d’appui et de réserve, ainsi qu’un labyrinthe d’abris profonds comportant d’ailleurs tout le confort moderne. Une deuxième est placée en ligne intermédiaire, dont le but est de protéger les batteries de campagne. Enfin, une troisième ligne, qui est pratiquement aussi forte que la première.
Du côté des Alliés, l’armée britannique est positionnée au nord du fleuve, quant à l’armée française, elle se tient de part et d’autre de la Somme en faisant sa jonction avec les Anglais sur la rive gauche. L’arrière sert de gigantesque entrepôt d’approvisionnement, avec Amiens pour centre : des chemins de fer sont construits ; des aérodromes sont aménagés ; des centres de ravitaillement ; des hôpitaux militaires… De nombreux ressortissants des colonies britanniques et françaises travaillent à la mise en œuvre de cet arrière. Des organisations chrétiennes, humanistes et/ou gouvernementales font également l’apologie de ce combat contre le Mal et, moyennant espérance de gains et de bon travail, font venir des milliers de Chinois.
Chez les Alliés, les Français sont commandés par Foch, avec la VIe armée du général Fayolle et la Xe armée du général Micheler. Du côté britannique, Haig a sous sa responsabilité la IIIe armée du général Allenby, la IVe du général Rawlinson et l’armée de réserve du général Cough.
Quant aux Allemands, ils sont sous la direction du général Fritz von Below.
24 juin 1916 – Préparation d’artillerie.
Grâce à la maîtrise du ciel, les Alliés peuvent détruire une partie des dirigeables allemands chargés d’annoncer les mouvements de troupes. En effet, les Britanniques disposent de 185 appareils (principalement des Sopwitchs), les Français de plus de 115 (des Caudron et des Farman bimoteurs, des Spad 7), alors que les Allemands ne peuvent aligner que 129 avions.
La préparation d’artillerie, initialement prévue pour cinq jours, débute le 24 juin par des tirs de réglage et de destruction. Elle s’intensifie à partir du 26 par un bombardement général et continu des lignes allemandes. En une semaine, l’artillerie britannique tire 1.732.873 coups. Les tranchées allemandes sont presque totalement détruites, mais les abris souterrains sont intacts. Le 28, l’offensive est reportée de 48h à cause du mauvais temps. Il tombe les premiers jours une moyenne de cinq obus pour chaque soldat allemand.
L’échec du 1er juillet.
Le 1er juillet au matin, à partir de 6h25, commence le bombardement final des Alliés. Les tirs d’artillerie atteignent une cadence de 3.500 coups par minute, produisant un bruit si intense qu’il est perçu jusqu’en Angleterre.
A 7h30, au coup de sifflet, l’infanterie britannique franchit les parapets baïonnette au canon et part à l’assaut des tranchées adverses. Les hommes sont lourdement chargés avec plus de 30 kg d’équipement. Ordre a été donné aux hommes de ne pas courir. En fait, l’état-major anglais craint que les hommes ne perdent le contact en courant et en se dispersant. Persuadé que les défenses allemandes ont été anéanties par les tirs d’artillerie, il exige que les hommes avancent au pas.
Les Allemands les accueillent avec des tirs de mitrailleuses qui les fauchent en masse. Les officiers sont facilement repérables et sont particulièrement visés. On estime à 30.000 le nombre de victimes (tués et blessés) dans les six premières minutes de la bataille. Les Allemands sont stupéfaits de voir les soldats britanniques venir au pas… A midi, l’état-major britannique annule l’ordre de marcher au pas, et retient les vagues d’assaut suivantes. De toute façon, les rares Anglais à parvenir aux tranchées allemandes ne peuvent résister à une contre-attaque. De leur côté, les Français atteignent leurs objectifs et peuvent progresser.
Au soir du premier jour des combats, le carnage est immense : 20.000 soldats du Commonwealth sont morts ; 36.000 sont blessés et hors de combat ; plus de 2.000 sont portés disparus. Des régiments entiers, comme celui de Terre-Neuve, sont anéantis à plus de 90 %.
Chez les Allemands, les pertes sont estimées à 6.000 hommes.
Evolution de la bataille.
Après l’échec du 1er juillet, le commandement britannique souhaite arrêter l’attaque. Le général Joffre refuse. Par contre, le principe d’une offensive d’ampleur est rejeté au profit d’attaques secondaires. Ainsi, le 4 juillet, les Anglais prennent La Boisselle, puis le bois de Mametz. Pozières tombe le 23, pris par la 1ère division australienne. A partir du 14 juillet, les combats se concentrent sur le bois de Delville, pris puis perdu par les Sud-Africains. Puis, pendant une semaine, c’est au tour du village de Guillemont de subir les attaques, en vain, des Anglais.
Les Français, quant à eux, continuent leur progression. Ils se rendent maître du plateau de Flaucourt. Ils ont avancé de près dix kilomètres. Près de 1.200 soldats allemands sont faits prisonniers. C’est le plus beau succès depuis la bataille de la Marne deux ans plus tôt. Mais les troupes du IIe Reich se ressaisissent : trente divisions sont retirées du secteur de Verdun (ce qui pour partie scelle l’échec sur la Meuse) et envoyées sur la Somme.
En septembre, les Alliés décident de reprendre l’offensive sur l’ensemble du front de la Somme. Mais là encore, le 3, les attaques britanniques échouent sur Guillemont, Ginchy et Thiepval. Même si chez les Français, de nouvelles positions sont prises (Vermandovillers, Deniécourt, Chilly), la progression est trop juste pour pouvoir tenir.
Apparition des chars.
Le 15 septembre apparaissent les premiers chars d’assaut britanniques. Ce sont des « tanks » Mark I, qui mesurent 8 mètres de long, pèsent 30 tonnes et disposent d’une autonomie de 20 km. Ils avancent à la vitesse de 6 km/h et sont équipés de 5 mitrailleuses. Leur utilisation, à l’avant de l’infanterie, permet au 22e Régiment royal canadien de prendre Courcelette, à la 15e division écossaise de prendre Martinpuich, tandis que la 47e London division s’empare du bois des Fourcaux. De même, à Flers, les Britanniques battent les Allemands et font 4.000 prisonniers.
Les chars sont bien entendu intégrés dans la grande offensive des 25 et 26 septembre. Les Alliés entrent dans Combles, évacué par les Allemands et prennent Thiepval. Mais ses efforts ne font que stabiliser le front. Les forces s’essoufflent et ne peuvent poursuivre.
Pourtant, les Alliés « remettent cela » : le 5 novembre, les Français attaquent Sailly-Saillisel mais ne peuvent prendre le bois de Saint-Pierre-Vaast. Quelques jours plus tard, Beaumont-Hamel est pris par les Britanniques. Mais ils n’avancent plus guère. L’automne est là, avec la pluie, la boue et le froid. Les chars n’avancent plus et deviennent de très belles cibles pour les obus ennemis. Le général Haig décide de stopper toutes les offensives britanniques. Il est imité quelques jours plus tard par le général Foch, qui renonce à une offensive majeure du le Xe armée. C’en est fini de la bataille de la Somme. Près de 70.000 soldats allemands sont prisonniers, mais les Britanniques ont eu 260.000 tués et les Français 63.000, chiffres auxquels il convient d’ajouter les blessés deux fois plus nombreux. Joffre, furieux de cet échec, décide de limoger Foch et de l’envoyer en mission à l’état-major puis en Italie. Il devra attendre 1918 pour faire son retour à la tête d’une armée française puis à celle de toutes les armées alliées.
Quant aux Anglais, pour toujours, le 1er juillet reste comme la journée la plus meurtrière de toute son histoire militaire.
Le coquelicot.
Dans les pays du Commonwealth, le coquelicot est associé au souvenir des combattants tombés pendant la Première Guerre mondiale. Cette allégorie du coquelicot découle d’un poème datant du printemps 1915, écrit par le lieutenant-colonel John Mc Crae, un médecin du Corps de santé royal canadien qui fut témoin de la terrible seconde bataille d’Ypres. Il s’intitule In Flanders Fields. En fait, les coquelicots fleurissaient sur les bords des tranchées et sur les routes des soldats et leur couleur rouge était un symbole pour le bain de sang de la guerre. Une Française, Madame Guérin, proposa au maréchal britannique Douglas Haig que les femmes et les enfants des régions dévastées de France produisent des coquelicots afin de recueillir des fonds pour venir en aide aux « gueules cassées ». En novembre 1921, les premiers coquelicots furent distribués. La tradition se poursuit depuis.
Il est à noter la similitude de cette histoire avec celle du Bleuet de France.
Sources :
- Stéphane Audoin-Rouzeau, Jean-Jacques Becker, Encyclopédie de la Grande guerre, Bayard, 2004.
- John Buchan, La bataille de la Somme, Thomas Nelson & Sons, 1920.
- Marjolaine Boutet et Philippe Nivet, La bataille de la Somme, Taillandier, 2016.
- Général Georges Girard, La bataille de la Somme en 1916, Plon, 1937.
- Alain Denizot, La bataille de la Somme, Perrin, 2002.
- Mémoires du maréchal Joffre et du maréchal Foch.
- John Keegan, La Première Guerre mondiale, Perrin, 2003.