Publié le 3 Mai 2025
Organisée par le comité de Bois-Colombes, sa présidente Christiane Drecq et son équipe notamment de jeunes, la cérémonie en hommage à l’un des « Cent » identifié dans notre délégation a eu lieu en avril dernier, en présence du maire et de plusieurs élus ainsi que d’une représentante de la SNCF.
Quelques voyageurs intrigués se sont joints à cette commémoration qui se déroulait dans la gare de Bois-Colombes.
L’évocation ci-dessous de ce destin tragique nous rappelle la fragilité de certaines de nos certitudes.
« Monsieur le maire, Monsieur l’adjoint chargé de la mémoire, Monsieur le conseiller municipal, Madame Legoux de la direction des lignes LAJ de la SNCF, Madame la présidente du comité du SF de Bois-Colombes, Monsieur le président du comité de Colombes, Mesdames et Messieurs les porte-drapeaux, chers amis et voyageurs,
Chaque année notre association mémorielle rend hommage à des Morts pour la France, un par département dont le destin a basculé il y a 80 ans. Cette année est bien sûr marquée par la commémoration de la libération des camps et c’est Alfred Bihan (et non Le Bihan comme il est inscrit sur cette plaque mais lui-même l’écrivait parfois ainsi) qui a été retenu pour les Hauts-de-Seine et la revue les « Cent » qui sort en ce mois d’avril.
Le 23 août 2013, le réalisateur Dominique Philiponska et le professeur des écoles Alain Quillévéré ont présenté un documentaire de 52 minutes retraçant l'itinéraire d'Alfred Bihan, mort en déportation, dont l’histoire a pu être retracée grâce à une boîte contenant des documents militaires et son courrier personnel. Cette boîte fut découverte à la déchetterie de Lannion.
Alfred est né en 1917 à Landébaëron, petite commune près de Guingamp dans les actuelles Côtes d’Armor.
Membre d’une fratrie de huit enfants, il connaît à 15 ans, en 1932, l’épreuve de la mort de son frère puis celle de son père deux ans plus tard, en 1934, année au cours de laquelle il obtient à l'institution Saint-Joseph de Lannion les premiers prix de version latine et de version grecque.
Il entre en 1935 au grand séminaire de Saint-Brieuc. Mais sa vocation n'est pas affirmée. Il devance alors l'appel et rejoint le 8e régiment du génie à Versailles. Nous sommes en 1937.
3 ans plus tard, il est affecté le 1er mai 1940 à la 2e division cuirassée de réserve, dans les transmissions, avant le déclenchement de l'offensive allemande de mai-juin 1940. Engagé dans de violents combats sur le front dans les Ardennes, l’Oise et la Somme, sa conduite lui vaut une citation à l'ordre du régiment avec attribution de la Croix de guerre, avant d’être démobilisé le 30 août 1940. Le sergent Alfred Bihan rentre en Bretagne jusqu'en décembre 1941 comme ouvrier agricole.
C’est alors qu’il devient « agent temporaire », manutentionnaire à la gare de Bois-Colombes, tandis qu’il vit à Colombes, au 24 rue Jean-Louis Louet avant de déménager au 29 de la rue de Rueil (aujourd’hui rue d’Estienne-d’Orves), dans une pension de famille.
Ce jeune célibataire sans enfant, sans véritable qualification professionnelle est une proie facile pour répondre aux exigences allemandes qui réclament au gouvernement de collaboration 250 000 travailleurs dont 10 700 agents des chemins de fer. La loi du gouvernement de Vichy du 4 septembre 1942 permet notamment à l’inspection de la main d’œuvre des transports de répondre à la demande allemande. C’est ainsi qu’il est désigné pour partir le 18 décembre 1942 travailler dans les chemins de fer allemands. Cependant son « Certificat d’embauchage » de l’office de placement allemand ne sera pas honoré car Alfred Bihan refuse de partir pour l’Allemagne. Il devient réfractaire et retourne en Bretagne. Après quelques jours auprès de sa mère, il se réfugie dans une ferme sur la côte à Lézardrieux où il travaille comme ouvrier agricole sans doute sous une fausse identité. Il entre alors en contact avec un groupe de jeunes résolus à poursuivre la lutte auprès des Forces Françaises Libres du général de Gaulle. Leur plan consistait - j’allais dire tout simplement - à s'emparer d'une vedette du service des Phares et Balises afin de rejoindre l'Angleterre.
Mais au matin du 8 mars 1943, sur l'Île Maudez (Modez), c'est un navire de la Kriegsmarine qui vient cueillir Alfred et cinq de ses camarades dans l’anse du Trieux.
La dénonciation ne fait aucun doute, elle est d’ailleurs corroborée par différentes sources. Ils sont immédiatement incarcérés à la prison de Saint-Brieuc.
Tous seront déportés, après avoir été regroupés avec d’autres résistants au camp de Royallieu près de Compiègne avant d’être transférés par wagons de marchandises en Allemagne en différents lieux aussi abominables les uns que les autres :
- Au camp de concentration d’Oranienburg-Sachsenhausen le 10 mai puis à Küstrin, à 70 kilomètres à l’est de Berlin. Dans ce camp il y a là environ deux-cents Français (sur deux cent cinquante détenus, ce qui est une exception dans l’univers concentrationnaire) qui travaillent dans un grand complexe industriel Zellwolle Zellulose Werk, qui fabrique de la pâte à papier et des dérivés de la cellulose.
La plupart des détenus travaillent à l’extérieur des bâtiments (manutention, terrassement), mais quelques spécialistes sont affectés à l’intérieur de l’usine sur des machines. Et cela leur permet d’avoir des contacts avec des prisonniers de guerre français, des civils allemands, et d’obtenir ainsi quelques informations (comme l’annonce du débarquement en Normandie par exemple).
- Transféré au kommando de Trebnitz, à 40 kilomètres à l’ouest de Küstrin, le 1er octobre 1944. Il est affecté à la carrière, c’est-à-dire dans des conditions physiques particulièrement difficiles.
- Quatre mois plus tard, en raison de l’avance des troupes soviétiques, il est évacué par un froid glacial vers le camp de Flossenbürg le 02/02/45.
- 15 jours plus tard, le 19 février 1945, il décède des suites des mauvais traitements, de la faim conjugués à une dysenterie qui se répand.
Tous les documents officiels indiquent comme date de décès le 20 février, mais Norbert Ferraguti, qui fut le dernier à le voir vivant et a pu se recueillir quelques minutes devant le corps de celui qu’il appelle encore « mon frère de misère » est formel : Alfred Bihan est décédé le 19 février, mais sa mort n’a été enregistrée que le lendemain, de façon que le block dans lequel il se trouvait puisse toucher sa ration de pain. Son corps est brûlé sur un bûcher dressé dans la cour, le four crématoire du camp ne pouvant accueillir le nombre élevé de cadavres.
Le 26 juin 1956, un décret lui décerne la Médaille militaire à titre posthume justifiée par la Croix de guerre obtenue dès août 1940 et la Médaille de la Résistance qui reconnaissait sa bravoure.
Voilà donc Mesdames et Messieurs, en quelques minutes l’histoire tragique de ce jeune homme que le Souvenir-Français a souhaité mettre à l’honneur dans les Hauts-de-Seine, 80 ans après la Libération des camps.
À lui et ses camarades dont le nom est inscrit dans le marbre dont on fait les statues, je livre notre devise « À nous le Souvenir, à vous l’immortalité ». »
Claude Guy,
Délégué général du Souvenir-Français pour les Hauts de Seine.