Se souvenir toujours et encore.
Publié le 12 Février 2016
7h15, le 21 février 1916, les 400 premières batteries allemandes crachent leur déluge de feu et d'acier sur la région fortifiée de Verdun (RFV). Jusqu'au milieu de l'après-midi, plus de 1.200 pièces d'artillerie délivrent environ 2 millions d'obus (un toutes les 3 secondes) bientôt suivis par l'assaut de 80.000 hommes lancés en trois vagues sur seulement 7 kilomètres d'une ligne de front qui s'étale sur la rive droite de la Meuse. Ce jour funeste est le point de départ d'un combat féroce entre deux Nations et deux armées. L'une pour obtenir une place forte sur le terrain, reprendre l'initiative à l'ouest, déjouer l'offensive prévisible franco-anglaise ; l'autre pour défendre les points-clés du terrain, interdire la percée et la manœuvre vers Paris, éviter la défaite militaire et morale de la France.
Ce face à face terrible entre deux grandes armées ne prendra fin que dix mois plus tard, trois cents jours et trois cents nuits de combat dans des conditions atroces.
On le sait, malgré l'utilité des forts pendant la bataille de la Marne de 1914, l'état-major français s'est résolu pour diverses raisons à abandonner le système Seré de Rivière au profit de l'offensive à outrance. Il considère en 1915 que ces forts sont devenus des « pièges à obus » et privilégie le renforcement des fortifications de campagne. Il valide le retrait des canons pour les utiliser en d'autres lieux. A l'inverse, si les Allemands possèdent une artillerie massive, ils ne parviendront pas pour autant à réduire la résistance de ceux que l'on surnommera «les Poilus».
Ce surnom affectueux occupe une place majeure dans notre mémoire collective. Il symbolise le calvaire enduré, la défense coûte que coûte, la survie de la patrie, la bravoure, l'obstination, l’héroïsme, le tragique, l'enfer, l'irrationnel, la résistance.
A ses côtés, des mots, des noms, des chiffres, des lieux activent notre mémoire :
Des noms de lieux : Douaumont tombé en peu d'heures gardé seulement par quelques territoriaux, la côte 304 et le Mort-Homme (« bataille dans la bataille »), le fort de Vaux défendu jusqu'à l'extrême par le commandant Raynal et sa garnison, Froideterre, le bois des Caures traversé par la ligne de front sur laquelle le lieutenant-colonel Driant trouve la mort avec plus de 1.100 chasseurs, Fleury pris et repris une dizaine de fois en quelques jours. Bien sûr, la Voie Sacrée avec 2.000 tonnes de munitions et presque autant de vivres par jour, ses 6.000 véhicules par vingt-quatre heures et ses milliers d'hommes et de blessés acheminés vers leur destin. On pourrait ajouter la voie étroite du train local le « petit meusien » qui rendra des services appréciés.
Des noms d'hommes : le lieutenant-colonel Driant et son cri d'alarme sur la faiblesse et les imperfections du système de défense ; le général Pétain et son célèbre « courage, on les aura ! » ; le sous-lieutenant pilote Jean Navarre dit « la sentinelle de Verdun » et ses douze victoires officielles ; tant d'autres encore connus (des poètes, des musiciens, des écrivains) ou inconnus pour la majorité. On peut relever sans plaisanter quelques noms d'animaux comme le célèbre pigeon-soldat « Le Vaillant » titulaire d'une citation à l'ordre de l'armée qui apporte sous son aile le dernier message du commandant Raynal. Sa mémoire est entretenue au régiment de transmissions de Suresnes.
Des mots nouveaux qui prennent place dans le vocabulaire : les armes chimiques, les lance-flammes pour neutraliser les soldats dans les trous d'obus, les aérostats, les obus à gaz, l’ypérite, le phosgène, l'avion, le « tourniquet » ou rotation des troupes avec les deux-tiers de l'armée française qui passent à Verdun (73 divisions sur 95 dont certaines à plusieurs reprises).
Et bien sûr des chiffres : plus de 360.000 morts, blessés ou disparus soit en moyenne 70.000 victimes par mois ; 4 millions d'hommes qui empruntent la Voie sacrée ; jusqu'à 600.000 rationnaires à ravitailler, pas toujours avec succès.
Des images enfin : celle des « Poilus », symbole à travers le monde de l'endurance, de la ténacité, du courage, de l'abnégation, du don de soi dans « l'enfer de Verdun » où ils côtoient les rats, les puces, les poux, où ils connaissent le froid, le gel des pieds, la boue, la dysenterie, la cécité (en raison des gaz diffusés par obus), les blessures, l'isolement, Mais aussi celle de toutes ces femmes qui dans les champs, les usines, les malheurs vont soutenir l'armée de leur pays et permettre la victoire.
Sans doute plus que jamais, la devise du Souvenir français prend avec Verdun toute sa signification « A nous le souvenir, à eux l'immortalité »
C.Guy (DG92)