Et Monsieur Bourdon, l'instituteur, sauta par la fenêtre.
Publié le 8 Avril 2017
C'était pendant la guerre de 1939-1945 à Tréboul, dans le Finistère, en Bretagne. Cette commune a été absorbée par Douarnenez en 1945.
Nous étions au printemps de 1943 dans la classe de CM1 de Monsieur Pascal Bourdon. Il faisait une très belle journée ensoleillée et les fenêtres situées au sud étaient ouvertes.
Soudain, des coups énergiques ébranlèrent la porte de la classe.
Monsieur Bourdon se dirigea vers celle-ci et l'ouvrit. Dans l’entrebâillement, les élèves purent distinguer deux hommes portant un chapeau et un manteau de cuir, comme on a pu en voir dans les films sur la Deuxième Guerre mondiale. C’était la Gestapo. On saura par la suite qu'un cordon de troupes d'occupation entourait l'école.
Je supposai que Monsieur Bourdon s’était vu signifier son arrestation pour menées subversives et enjoindre de les suivre. Très calmement, l’instituteur leur demanda s’il pouvait aller prendre ses socques, des chaussures à semelles de bois qu'on portait avec des chaussons de tissu. Il referma la porte, pris ses socques déposées sur l'estrade sur laquelle était installé son bureau puis, toujours aussi calme, se dirigea vers la fenêtre la plus proche en nous faisant signe de nous taire. Il enjamba la fenêtre (nous étions au premier étage) et sauta sur le toit d’un bâtiment en contrebas. Se laissant glisser jusqu'au bord, il se suspendit à la gouttière – qu'il déforma – et s’élança dans la cour.
Par chance pour lui, ce côté était gardé par des gendarmes français. A sa vue, le plus proche fit semblant d'aller aux toilettes, ce qui permis à Monsieur Bourdon de disparaître par le jardin du directeur. Il ne fut pas rattrapé…
Au bout d'un moment, l’un des gestapistes ouvrit la porte, parcourut la classe du regard, alla voir sous le bureau et vit alors la fenêtre ouverte. En se penchant il remarqua la gouttière déformée puis, sans un mot, ressortit.
Nous étions de tout cœur avec notre instituteur et heureux qu'il soit parvenu à fuir les Allemands. Nous avons appris par la suite qu'il avait été pris en compte par son réseau de résistance, échappant ainsi à la torture et à la mort.
Peu de temps après, un autre instituteur, Monsieur Castrec, qui enseignait à la classe de CM2, disparut dans la nature. Lui aussi faisait partie du même réseau. Après la Libération nous avons su que cet enseignant avait rejoint un maquis dans le Périgord pour échapper aux recherches.
Tous deux avaient sans doute été dénoncés.
Le sang-froid de Monsieur Bourdon m'a beaucoup frappé. Je m'en souviendrai toute ma vie. Cela a été pour moi un exemple, un complément à son cours qui était par ailleurs extrêmement apprécié.
J'ai ensuite, de 1944 à 1945, été l'élève de Monsieur Castrec qui m'a préparé à l'examen d'entrée en 6e. J’ai gardé en mémoire les noms de quelques camarades de classe: Savina, Sévéléder, Couillon, Gargadennec. Je souhaiterais, s'ils sont encore de ce monde, qu'ils puissent lire ce récit et y apporter leur contribution.
Quant à elle, l’école, elle a été détruite pour laisser place à l'école de voile de Douarnenez.
Colonel (ER) Pierre Keraudren
Président honoraire du Comité de Châtillon du Souvenir Français