Le 11 novembre 1918, à la Chambre des représentants.
Publié le 4 Novembre 2008
Nous sommes le 11 novembre 1918. L'armistice mettant fin à la Première Guerre mondiale est signé depuis 5 heures du matin. A 16 heures, avec la force de ses 77 ans, Georges Clémenceau, président du Conseil, s'avance d'un pas lourd et grave. Une à une, il monte les marches pour se rendre au pupitre de la Chambre des représentants (Assemblée nationale).
Clémenceau : Messieurs, je cherche vainement ce qu’en une pareille heure, après cette lecture devant la Chambre des représentants français, je pourrais ajouter. Je vous dirai seulement que, dans un document allemand et dont, par conséquent, je n’ai pas à donner lecture à cette tribune en ce moment, document qui contient une protestation contre les rigueurs de l’armistice, les signataires dont je viens de vous donner les noms reconnaissent que la discussion a été conduite dans un grand esprit de conciliation.
Pour moi, la convention d’armistice lue, il me semble qu’à cette heure, en cette heure terrible, grande et magnifique, mon devoir est accompli.
Un mot seulement. Au nom du peuple français, au nom du Gouvernement de la République française, j’envoie le salut de la France une et indivisible à l’Alsace et la Lorraine retrouvées. (Vives et unanimes acclamations. –Tous les députés se lèvent et applaudissent longuement.)
M. Petitjean. Vive l’Alsace-Lorraine française !
M. Lazare Weiller. Au nom des deux seuls Alsaciens et de nos chers collègues lorrains de cette Chambre, ma poitrine gonflée de joie a besoin de crier : "Vive Clemenceau !"
M. le président du Conseil. Et puis, honneur à nos grands morts, qui nous ont fait cette victoire. (Nouvelles acclamations unanimes. –Tous les députés se lèvent.) Par eux, nous pouvons dire qu’avant tout armistice, la France a été libérée par la puissance des armes. (Applaudissements unanimes et répétés.)
M. Petitjean. Vive la victoire !
M. le président du Conseil. Quant aux vivants, vers qui, dès ce jour, nous tendons la main et que nous accueillerons, quand ils passeront sur nos boulevards, en route vers l’Arc de Triomphe, qu’ils soient salués d’avance ! Nous les attendons pour la grande œuvre de reconstruction sociale. (Vifs applaudissements.) Grâce à eux, la France, hier soldat de Dieu, aujourd’hui soldat de l’humanité, sera toujours le soldat de l’idéal ! (Applaudissements enthousiastes. –MM. Les députés se lèvent et acclament longuement M. le président du Conseil.)
M. le président. La voilà donc enfin, l’heure bénie pour laquelle nous vivions depuis quarante-sept ans ! –quarante-sept ans pendant lesquels n’a cessé de retentir en nos âmes le cri de douleur et de révolte de Gambetta, de Jules Grosjean, de Keller et des députés d’Alsace-Lorraine, celui de Victor Hugo, d’Edgar Quinet et de Georges Clemenceau (vifs applaudissements) quarante-sept ans, pendant lesquels l’Alsace-Lorraine bâillonnée n’a cessé de crier vers la France ! Un demi-siècle ! et demain, nous serons à Strasbourg et à Metz ! Nulle parole humaine ne peut égaler ce bonheur ! (Applaudissements unanimes et prolongés.)
Provinces encore plus tendrement aimées parce que vous fûtes plus misérables, chair de notre chair, grâce, force et honneur de notre Patrie, un barbare ennemi voulait faire de vous le signe de sa conquête, non vous êtes le gage sacré de notre unité nationale et de notre unité morale, car toute notre histoire resplendit en vous ! (Très bien ! très bien !) Oui, c’est toute la France, la France de tous les temps, notre ancienne France comme celle de la Révolution et de la République triomphante, qui, respectueuse de vos traditions, de vos coutumes, de vos libertés, de vos croyances, vous rapporte toute sa gloire ! (Acclamations unanimes. –MM. Les députés se lèvent.)
Et maintenant, Français, inclinons-nous pieusement devant les artisans magnifiques du grand œuvre de justice, ceux de 1870 et ceux de 1914. Ceux de 1870 sauvèrent –non l’honneur, certes : l’honneur était sauf, j’en atteste les mânes des héros de Reichshoffen, de Gravelotte, de Saint-Privat, de Beaumont, Beaumont où les fils de compagnons de La Fayette viennent de venger Sedan (Vifs applaudissements répétés.)–mais ils sauvèrent l’avenir. Leur résistance a préparé nos victoires.
Et vous, combattants sublimes de la grande guerre, Français et alliés, votre courage surhumain a fait de l’Alsace-Lorraine, aux yeux de l’univers, la personnification même du droit (Applaudissements prolongés –MM. Les députés se lèvent) ; le retour de nos frères exilés n’est pas seulement la revanche nationale, c’est l’apaisement de la conscience humaine (Vives acclamations) et le présage d’un ordre plus haut. (Acclamations unanimes. –Tous les députés se lèvent et applaudissement longuement.)
(extraits du site internet de l'Assemblée nationale - Minutes des débats de la IIIème République).