"Il avait 26 ans" par Andrée Allain - 1/2.
Publié le 18 Octobre 2009
Sur cette photographie, mon frère Maurice a emprunté la chéchia d’un tirailleur.
Réquisitionné pour le STO.
« Maurice Simon, mon frère, notre frère, je l’ai si peu connu... Je suis née en 1935 et lui en 1919. Je n’avais donc que quatre ans lors des bouleversements apportés par la déclaration de guerre à l’Allemagne nazie par la France et l’Angleterre. Maurice était chasseur alpin. Mobilisé en 1939, il effectua son service au 13ème BCA de Chambéry puis appartint au 153ème Régiment d’Infanterie alpine de Lyon.
Je ne sais pratiquement rien de sa guerre. Juste qu’on le vit partir en 1939, revenir pour quelques permissions cette année-là, puis repartir pour être démobilisé en 1942. Maurice était très fédérateur au niveau de notre famille, mère, père, frère et sœurs, nièce, tantes et oncles, cousins et cousines. Tous en ont toujours gardé le souvenir d’un garçon gentil, bienveillant, amusant, attentif au bonheur de tous.
En 1942, Hitler exigea de la France et de la Belgique le recrutement de travailleurs pour remplacer les ouvriers allemands envoyés sur les fronts de l’Est. Pétain et Laval se chargèrent avec enthousiasme de faire exécuter les ordres nazis, sans grand succès dans les premiers temps, faut-il le rappeler ! Lorsque Maurice fut démobilisé, il fallut bien trouver du travail, ce qui n’était pas facile. C’est Lucien Schmit, patron de notre sœur Mimie qui le fit embaucher à la Polymécanique (filiale de Motobécane). Il y était depuis trois mois quand, le 16 février 1943, une loi imposa le Service du Travail Obligatoire (STO) : tous les jeunes âgés de 20 ans pouvaient être envoyés de force pour travailler en Allemagne.
Maurice reçut son ordre de partir. Il est clair qu’il n’y allait pas de grand cœur, mais dans le même temps il se sentait des responsabilités vis-à-vis de sa famille et il voulait avant tout, éviter des soucis à notre mère. En effet, les familles des hommes qui n’obtempéraient pas étaient menacées de représailles. Il se résigna donc à partir pour l’autre côté du Rhin.
Triste départ. Maman en compagnie de ma sœur aînée Renée, souhaitèrent l’accompagner jusqu’à la Gare de l’Est comme elle l’avait fait précédemment pour notre autre frère Pierrot. Le sort s’acharna sur nous : ma mère ne put aller plus loin que la Porte de la Villette car un camion allemand l’accrocha et la renversa. Légèrement blessée, elle rata le train et ne revit jamais son fils.
Deux années au cours desquelles les restrictions furent notre lot quotidien. Et pourtant, notre mère se dévouait comme seule une mère peut le faire. Eté comme hiver, elle se levait à 1h00 du matin pour aller faire la queue dans les couloirs des commerçants afin d’être dans les premiers servis car il n’y en avait pas de la viande pour tout le monde.
Pour aider sa sœur qui avait tant de difficultés pour nourrir tout son monde, ma tante Marthe m’accueillit chez elle à Gorenflos, petit village de la Somme. Elle avait bon cœur mais était assez sévère et je la craignais. Son mari, mon oncle Eugène était très gentil et tous les deux aimaient beaucoup notre famille. Ah, je n’ai pas souffert de la faim à Gorenflos ! Ma tante mettait un point d’honneur à me renvoyer chez mes parents avec une bonne mine et quelques kilos en plus !
C’est ainsi que j’allai à l’école avec les enfants du village dans une classe unique et que j’appris à parler un « ch’ti picard » que je comprends toujours… Je vis aussi se construire dans le Parc du Château, une rampe de V1 destinée à détruire Londres. Le village avait été complètement investi par les militaires allemands. Les soldats dans des casernements et les officiers dans des fermes aux alentours. Avec toute la famille, nous écoutions la radio. Je me souviens du célèbre leitmotiv « collaborateur » de Jean-Hérold-Paquis sur Radio-Paris qui était « L’Angleterre comme Carthage sera détruite », ainsi que la réplique de Pierre Dac à l’encontre de cette radio : « Radio-Paris ment, Radio-Paris ment, Radio-Paris est aux Allemands ».
Lettres d’Autriche.
Photo retrouvée dans le portefeuille de Maurice (2ème en partant de la gauche) à Pottentorf. Photographie envoyée en 1945 par Armand Hochet, Partisan français de la Cie de Lannurien.
« Et la première lettre arriva ! Elle venait de Vienne et de Pierrot. Il semblait se satisfaire de son sort, étant passé garde-baraque. La nourriture n’était pas abondante mais bonne et propre selon ses termes. Puis, ce fut une lettre de Maurice, datée du 2 mars 1943 dans laquelle il racontait la pénibilité du voyage et son arrivée à Vienne après 10 heures de train, par Stuttgart et Munich, content de ne pas avoir été séparé de son copain de Pantin, Lucien Rayer, ouvrier lui aussi de la Polymécanique. Maurice n’avait pas réussi à se faire affecter à la Wiener Locomotiv comme Pierrot mais se consolait du fait d’être également à Vienne et de pourvoir le voir tous les dimanches.
Je n’ai pas retrouvé de traces de lettres entre les mois d’avril 1943 et février 1944. Une lettre du 3 février 1944 nous indiqua que l’usine F.O.W. se situait à Brunn-am-Gebirge dans la banlieue ouest à 15 km du centre de Vienne. Les ouvriers n’étaient plus autorisés à écrire que deux lettres par mois et qu’en conséquence ils utiliseraient davantage les cartes-lettres. Maurice semblait persuadé que nos misères touchaient à leur fin et il montrait toujours un certain enthousiasme, ne se plaignant jamais de ses conditions de travail et de nourriture, certainement pour rassurer notre mère.
En avril 1944, il nous apprit que son équipe déménageait pour s’installer dans le village de Pottendorf, situé à 25 km au sud-ouest de Brunn (30 kms au sud de Vienne). Ils ne perdraient pas au change, écrivait-il, car s’ils étaient 20.000 dans l’usine précédente là ils ne seraient pas plus de 200 ! Et il se consolait en pensant que le dimanche il pourrait toujours voir son ami Lucien Rahier et Pierrot.
Ce même mois Pierrot nous apprit dans une carte qu’il s’était blessé au pied. Il revint chez nous en convalescence pour deux mois. Les événements que tout le monde connaît se déroulèrent le 6 juin 1944. Nous profitâmes de ce retournement de situation, de cette libération, pour cacher Pierrot jusqu’à la victoire.
Nouvelle lettre de Maurice le 27 avril 1944 : « Est-ce que Jeannine travaille toujours ? Est-ce que Denise, Dédée et Nicole sont gentilles et ne vous font pas enrager ? Est-ce que Mimie lui a trouvé un gentil beau-frère ? Et toi, ma petite maman, es-tu maintenant complètement remise de ta bronchite ? J’espère bien que quand nous rentrerons, nous te trouverons aussi forte qu’avant, tout au moins en bonne santé et alors, là, sois tranquille, à nous tous, nous te ferons récupérer tes forces et aussi que tu n’auras plus aucun souci. »
Vinrent ensuite des lettres dans lesquelles il nous parlait des alertes et des bombardements. Ainsi, le mardi midi 30 mai, avec quelques copains, l’usine et les baraquements furent détruits mais, heureusement, sans faire de victimes parmi les Français. Maurice et un copain furent désignés pour établir la liste des affaires qu’il était nécessaire d’obtenir pour tous auprès de la Flugmotor et de la Délégation Française : « Ce n’est pas un mince travail que de s’occuper de tout cela, mais enfin, cela rend service aux copains et c’est le principal. »
L’usine fut ensuite transférée à Prague en Tchécoslovaquie d’où Maurice nous écrivit les cartes-lettres datées des 28 juin et 10 juillet 1944 : « Tu sais, ma petite maman, depuis le 27 novembre 1939 que je suis parti presque continuellement de la maison, je commence à savoir me débrouiller et pour le peu qu’il me reste à faire, j’arriverai bien à m’en tirer » Et toujours il nous recommandait de garder Pierrot près de nous et de ne pas le laisser repartir.
Le 21 juillet 1944, après un nouveau déménagement, les Allemands les installèrent à Dubnica nad Váhom, au nord de Trenčín à l’ouest de la Slovaquie. C’est le site actuel des Usines SKODA. Là, Maurice décrivit leurs conditions de travail qui étaient très dures mais aussi, l’abondance de la nourriture, cigarettes et alcools.