Un poilu d'Orient : Pierre Achalme, d'Asnières-sur-Seine.
Publié le 19 Avril 2010
1918 : les troupes françaises entrent dans Monastir (auj. Bitola en Macédoine)
1 - La guerre en Orient.
Ouvrir un second front.
Qui se souvient que des soldats français ont fait la Première Guerre mondiale dans les Balkans, et que celle-ci a d’ailleurs duré jusqu’en 1919 ?
A la fin de l’année 1914, la situation semble inextricable. Après les offensives et les longs mouvements de conquête et de retraite de l’automne, les Alliés, comme les armées des Empires centraux, se sont enterrés dans des tranchées. Au cours de cette première année de guerre les pertes sont déjà phénoménales. La France a vu mourir plus de 500.000 de ses soldats.
Winston Churchill, alors Premier lord de l’Amirauté (ministre de la Marine britannique), défend l’idée de l’ouverture d’un second front en Europe, et du côté des Balkans. Dans un triple objectif : ravitailler l’Armée russe via la mer Noire ; contourner les Empires centraux ; occuper Constantinople, capitale d’un Empire ottoman, considéré comme le « grand malade » du continent et par ailleurs allié de l’Allemagne et de l’Autriche-Hongrie.
Gallipoli.
Une expédition maritime est proposée et envoyée. Sans grand succès. La présence de mines, de côtes fortifiées (donc difficiles à bombarder) et de nombreux sous-marins allemands ne facilitant pas les manœuvres ! Une nouvelle expédition est menée. Elle est terrestre et consiste en l’envoi d’un premier contingent de 75.000 soldats anglo-français (auxquels il convient d’ajouter des unités australiennes et néo-zélandaises) sur la presqu’île de Gallipoli, à l’entrée du détroit des Dardanelles. C’est une catastrophe : les soldats sont littéralement hachés par l’artillerie ottomane, sous le commandement du général allemand Liman von Sanders. Un second débarquement se déroule quelques semaines plus tard pour renforcer un dispositif déjà à bout de forces. Il ne fait qu’ajouter des morts. Les anglo-français doivent abandonner les lieux. Leur chef, le général Gouraud, vient de quitter le front, amputé du bras droit. Les Alliés réussissent néanmoins à sauver environ 100.000 hommes et les faire débarquer à Salonique, en Grèce, pays alors neutre, quoique soupçonné de docilité vis-à-vis de l’Allemagne.
Là, les soldats n’ont pas le temps de se refaire une santé. Le corps expéditionnaire devient l’Armée d’Orient et tente de faire la jonction avec les restes de l’Armée serbe qui vient de traverser la Macédoine, du nord au sud. La Serbie connait au début de la guerre quelques victoires, avec notamment la reprise de la ville de Belgrade, mais les défaites s’accumulent par la suite. De plus, la Bulgarie entre dans le conflit aux côtés de l’Allemagne et de l’Autriche-Hongrie. L’expédition française pour porter secours aux troupes serbes s’avère vite être un échec et le retour vers Salonique se déroule à la fois dans des conditions climatiques détestables et sous le feu des armées des Empires centraux, qui multiplient les combats avec les unités de l’arrière-garde alliée.
Le camp de Salonique.
Salonique devient alors un immense camp militaire retranché, sous la menace permanente des armées allemandes, austro-hongroises et bulgares. L’Armée grecque s’est interposée entre les deux et tente d’éviter le pire. Au sommet de l’Etat grec les dissensions entre le Premier ministre, Vénizelos, partisan de la Triple-Entente (France, Russie, Empire britannique) et le roi Constantin 1er, pro Empires centraux, sont plus vives que jamais. Et les soldats alliés enfermés ne peuvent qu’attendre les ordres. Pour combattre la dysenterie, la malaria, le paludisme, la malnutrition et le scorbut, ils collaborent à l’assèchement des marais et se mettent à cultiver la terre. Une partie du camp se transforme en un immense potager. D’où la réplique, sarcastique, de Georges Clemenceau : « les jardiniers de Salonique ».
De leurs côtés, les états-majors s’affèrent pour mettre en place des unités dignes de ce nom. Le général français Maurice Sarrail tente un équilibre : ne pas déplaire aux Grecs, qui sont toujours neutres, faire attention aux espions allemands, bulgares ; faire régner l’ordre entre les troupes françaises, serbes, anglaises, australiennes, néo-zélandaises, italiennes, sans oublier les contingents indiens et africains.
En 1916, sollicitée des deux côtés, la Roumanie entre en guerre finalement en se rapprochant des Alliés. Dans le même temps, le général Sarrail voit les Grecs dégarnir les postes qui sont sensés protéger les Alliés. Il décide de sorties : les Serbes attaquent les premiers et reprennent aux Bulgares les monts menaçant la plaine de Salonique. De leur côté, les Français entrent en Macédoine et fixent les troupes germano-bulgares. L’aide des Roumains est de courte durée : à la fin de l’année 1916, le pays est entièrement envahi par les puissances centrales. Tout au long de l’année suivante, quelques combats sporadiques opposent les deux camps.
L’offensive victorieuse de 1918.
Il faut attendre 1918 pour que l’offensive majeure se déroule. Au cours de 1917, le général Adolphe Guillaumat s’est ingénié à remonter le moral des troupes, à les entretenir et surtout à les soigner. Les épidémies sont enfin endiguées. Le général contribue aussi fortement à l’implantation d’un état-major interallié, suffisamment solide et intelligent pour ne froisser aucun des pays contributeurs, tout en permettant des décisions rapides et efficaces. De plus, les Grecs finissent par s’engager dans le conflit aux côtés des Alliés. Le camp de Salonique n’est plus retranché ! Le temps de la reconquête est arrivé.
En juin 1918, rappelé à Paris par le nouveau Président du Conseil, Georges Clemenceau, le général Guillaumat est remplacé par le général Louis Franchet d’Espérey, qui peut enfin mettre en œuvre la globalité du plan élaboré par son prédécesseur. Le 15 septembre 1918, avec l’accord des gouvernements anglais et italiens, Franchet d’Espérey lance les armées alliées à la reconquête des Balkans. A l’est, les soldats anglais et grecs attaquent en direction de la Bulgarie (vallée du Vardar). Au centre, les Français et les Serbes, progressent rapidement et s’emparent de l’ensemble de leurs objectifs. L’un des épisodes les plus fameux de cette offensive reste la dernière charge de cavalerie de l’Armée française : sous le commandement du général Jouinot-Gambetta, la brigade à cheval des chasseurs d’Afrique réussit un raid de plus de 70 km à travers les montagnes, à plus de 2.000 mètres d’altitude. Le 29 septembre, les cavaliers prennent par surprise Usküb, la capitale de la Macédoine. Le soir même, les Bulgares sont acculés à signer un armistice.
Pendant ce temps, Franchet d’Espérey continue sa marche en avant et se dirige maintenant vers Bucarest, capitale de la Roumanie. Mais l’objectif est bien l’entrée en Autriche-Hongrie. L’armistice général du 11 novembre 1918 met un terme à la reconquête des Alliés, qui se retrouvent à ce moment-là bien plus proches des Empires centraux que leurs homologues de l’ouest. Mais pour l’Armée d’Orient, la guerre n’est pas encore terminée.
1919.
L’Armée Française d’Orient est à nouveau rebâtie pour se transformer en trois unités :
- - L’Armée du Danube : commandée par le général Berthelot, elle est constituée des unités qui sont stationnées en Roumanie, d’abord à Bucarest puis dans le delta du Danube. Il s’agit de faire face aux nouveaux ennemis : les Russes bolchéviques qui eux sont positionnés en Moldavie (sous domination russe à l’époque).
- - L’Armée de Hongrie, sous le commandement du général Labit, est chargée de mettre fin aux agissements des bolchéviques hongrois.
- - Le Corps d’Occupation de Constantinople, a pour mission de faire régner l’ordre dans une partie de ce qui est bientôt l’ancien Empire ottoman.
Face aux « Rouges » et en appui des Russes « Blancs » (tsaristes), les troupes françaises vont stationner et se battre pendant plus de cinq mois après la fin officielle de la Première Guerre mondiale. Les ports russes sont envahis par des bateaux français et anglais : il s’agit d’étouffer économiquement le nouveau pouvoir de Lénine. Mais le retournement de la situation militaire (les Rouges amassant les victoires), les mutineries de marins français dans le port d’Odessa, et de plusieurs compagnies dans l’Armée du Danube, précipitent le retour des soldats français en métropole au printemps 1919.
2 - Pierre Achalme au 371ème RI.
Au 371ème RI.
Pierre François Achalme, 2ème classe au 371ème régiment d’infanterie, nait le 19 octobre 1895 dans le 17ème arrondissement de Paris. De la classe 1915, il porte le matricule au corps n° 5826.
Le 371 a pour casernement Belfort en 1914. Il fait partie de la 114ème brigade d’infanterie, de la 7ème région et du 4ème groupe de réserve. En cette première année de guerre, il participe aux opérations en Alsace puis dans les Vosges. En octobre – novembre 1915, il embarque pour Salonique.
Carnets d’Emile Nussbaum.
Emile Nussbaum, caporal au 371ème RI écrit à sa sœur :
- - 3 octobre 1915 : « Chère sœur, je viens par cette lettre t’apprendre une nouvelle qui ne te fera pas trop plaisir. Notre régiment, et bien d’autres, fait partie du Corps Expéditionnaire d’Orient, nous sommes pour le moment à Meximieux pour le repos. On nous vaccine contre le choléra et on nous habille et équipe à neuf, nous allons y rester 4 ou 5 jours et de là nous sommes dirigés sur Marseille et embarquer pour la Serbie ».
- - 12 octobre 1915 : « Le 8, nous partons pour de bon. Nous étions très bien à bord et comme je te l’ai dit c’était un Transatlantique du nom de « Princesse de Montfaléone », il a fait un temps superbe tout le temps de la traversée, le 8 et le 9 nous avions en vue les côtes de la Corse, Sardaigne et Sicile, puis d’Italie. Le 10, nous n’avons pas aperçu la terre de toute la journée. Le 11, nous avons vu des côtés dont je ne connais pas le nom et nous avions été en alerte toute la journée c’est-à-dire en pantalon et en veste sans chaussures, et de fortes ceintures de liège, nous craignons les sous-marins Austro-boches mais nous avons eu de la chance. Le 12 à minuit, nous débarquions en bon état au port de Salonique, c’est une ville assez bizarre sur le bord de la mer et en coteau, c’est très beau en regardant de la mer, mais c’est une ville sale avec des pavés très mal unis et peuplée de gens de toutes les nations, beaucoup de Français et d’Anglais. Mais les gens du pays sont très paresseux, on voit tous les hommes se faire traîner par de petits ânes, et leurs jambes trainent presque par terre. On en voit couchés au soleil des journées entières. Il y a beaucoup de commerçants de toutes sortes et à peine arrivés, nous étions assaillis par des marchands de figues, gâteaux, toutes sortes de fruits et camelotes sont réunies ici, c’est le genre de Sidi que l’on voit en France. On parle très bien le Français et on achète même des journaux imprimés en Français. La soirée du 12 fut consacrée au montage de nos tentes où nous couchons, c’est un grand camp occupé par des Français et des Anglais et des troupes de colonies. Nous avons vu les troupes Grecques qui sont dans Salonique. C’est un type très mou mais qui peut être un très bon soldat ».
Peu après son installation, le régiment se rend en Serbie du sud (Macédoine actuelle) en passant par la vallée de la Vardar, au cœur des montagnes du nord de la Grèce. La mission consiste à faire la liaison avec les troupes serbes qui retraitent à travers la Macédoine. C’est au cours de ces engagements, le 2 décembre 1915 – anniversaire de la bataille d’Austerlitz – que Pierre Achalme meurt de ses blessures dans la ville de Krivolac.
Pierre Achalme avait vingt ans. Son nom figure aujourd’hui sur le monument aux morts de la Première Guerre mondiale de la commune d’Asnières-sur-Seine.
Sources :
- Encyclopédie Universalis, dictionnaire Larousse, encyclopédie Wikipédia.
- André Castelot et Alain Decaux : Histoire de la France et des Français, Larousse.
- Service historique de la Défense – Site « Mémoire des hommes » du ministère de la Défense.
- Pierre Miquel : Les poilus d’Orient, Fayard, 1998 ; La poudrière d’Orient, Fayard 2004 ; Le gâchis des généraux, Plon 2001 ; Les Poilus, Plon, 2000 ; Je fais la guerre, Clemenceau, Taillandier, 2002 ; Les Enfants de la Patrie, Fayard, 2002.
- Pierre Gosa : Franchet d’Espérey, Nouvelles Editions Latines, 1999.
- Jacques Ancel : Les travaux et les jours de l’Armée d’Orient, Paris, 1921.
- Site internet www.chtimiste.com sur l’historique des régiments et les carnets du caporal Emile Nussbaum du 371ème RI.
- Journal de Marche du 371ème RI.
- Journal de Marche de la 114ème division d’infanterie
- Journal de Marche du Corps Expéditionnaire d’Orient