Une enfance en Indochine.
Publié le 28 Octobre 2011
« Jacques, Maurice, René, Noëlle et Christiane sont nés avant ou pendant la guerre d’Indochine, d’une mère Vietnamienne et d’un père Français, souvent inconnu. Ils ont obtenu la nationalité française quand le conflit s’est intensifié mais leur mère, devant la difficulté à les élever dans une société qui les rejetait, les confiaient dès leur plus jeune âge à la FOEFI, une association philanthropique, dont le but était de les assimiler à la société française ».
Ainsi commence le film de Philippe Rostan, Inconnu présumé Français, qui raconte l’histoire de ces milliers d’orphelins français, recueillis au sein de la FOEFI : la Fédération des Œuvres de l’Enfance de l’Indochine Française.
William Bazé.
William Bazé.
William Bazé naît à Saigon le 7 août 1889, d’un père riziculteur dans le Sud-Annam. En 1917, il entre au service de la Société des Plantations d’Hévéas de Xuanloc. Mais cette expérience est courte car l’année suivante il est appelé sous les drapeaux et sert à la frontière de la Chine, dans les colonnes de Cao-Bang puis dans celles de Lang-Son. Libéré trois années plus tard, il rejoint la plantation et progresse rapidement au sein de la hiérarchie technique. Par la suite, grâce à de nouvelles méthodes que William Bazé rapporte de ses voyages en Malaisie et en Indonésie, il met en valeur une quinzaine d’autres exploitations, entre autres dans les régions de Bien-Hoa, de Baria et de Tayninh. Il dirige alors près de deux mille ouvriers.
A cette époque, William Bazé épouse Yvonne de Miribel, fille de l’ancien Résident supérieur de France au Tonkin. Mais, n’ayant pas d’enfant, lui et sa femme s’occupent de l’enfance malheureuse. En 1923, ils s’inscrivent à la Société des Protections de l’Enfance de Cochinchine, et ils recueillent des orphelins (ils vont élever quatorze enfants). En 1938 il contribue à la création de la Fédération des Œuvres de l’Enfance Française d’Indochine (FOEFI). Mais la Seconde Guerre mondiale vient d’éclater… Les Japonais envahissent l’Indochine.
William Bazé monte alors un réseau avec des résistants vietnamiens et participe à plusieurs actions armées contre l’ennemi. Dans son livre Aux Services de la République, Claude Faure parle de William Bazé : « Au cours du mois de juillet, plusieurs planteurs d’hévéas en Indochine décident de rallier la France Libre en créant deux filières chargées de recueillir des renseignements sur les forces japonaises : le réseau Drouhin-Birnie en Cochinchine, le réseau Nicolau-Bocquet en Annam. Dans un premier temps, ceux-ci transmettent leurs informations à l’Intelligence Service britannique par le biais de l’inspecteur Gregor Birnie, à Singapour, et par celui du consul de Grande-Bretagne à Saigon, Mr Meiklereid. Après le départ de ces deux hommes, William Bazé, directeur d’une importante plantation, supervise une partie de ces réseaux, en particulier pour la constitution de dépôts d’armes, de médicaments et de vivres parachutés par les unités spéciales franco-britanniques».
Le 24 août 1945, William Bazé est arrêté par la Kempetaï, la police japonaise. Quelques jours plus tard, il est rendu à sa famille, agonisant sur une civière. Après seulement quelques semaines de convalescence, il reprend du service et s’engage au sein du Corps Expéditionnaire Français en Extrême-Orient, sous les ordres du général Leclerc.
Parallèlement à son engagement patriotique, son activité de planteur et la FOEFI, William Bazé préside la Mutuelle des Français d’Indochine, qui vient en aide aux victimes de la Seconde Guerre mondiale et de la guerre d’Indochine. A Cholon, en Cochinchine, il crée une école pour emmener les enfants au Certificat d’études. Enfin, il prend également part à la vie politique de son pays. Elu conseiller de l’Union française en 1952, il concourt à la défense de son idéal en exposant régulièrement, à la tribune de l’Assemblée de l’Union française, ses idées et la problématique des relations entre la France et ses colonies.
Arthur Saint-Gabriel.
Arthur Saint-Gabriel.
Arthur Saint-Gabriel est conseiller municipal délégué aux Anciens Combattants et aux Affaires Militaires de la ville de Courbevoie et correspondant Défense : « Je suis né le 21 juillet 1938 en Indochine. Mes parents étaient originaires de Pondichéry, cet ancien comptoir français de la côte orientale indienne. Je ne les ai pas connus. Pupille de la Nation, j’ai été confié à la FOEFI, dans le foyer de Cholon. J’ai bien entendu des souvenirs très précis de nos journées dans cet établissement. De notre joie d’être ensemble, en sécurité. Nous n’avions pas de parents, mais jamais en ces moments-là nous n’avons manqué d’amour.
Plus tard, mes camarades et moi – nous étions devenus de jeunes adolescents – nous reçûmes les autorisations pour sortir (nous étions très surveillés). Elles nous permirent alors des rencontres inoubliables dans Cholon : là, nous voyions toutes sortes de commerce, des usines de riz, de paddy, des distilleries, des échoppes, mais aussi le théâtre, un marché immense où grouillait une foule compacte. Je revois encore des habitants en vêtements traditionnels, principalement des Chinois, mais aussi des Européens, des femmes élégantes, se promenant dans des pousse-pousse, généralement tirés par de pauvres diables. Et cela allait dans tous les sens, vite et sans arrêt : on aurait dit une colonie de fourmis ! Avec habitude, nous apprîmes qu’il n’en était rien bien entendu et qu’une organisation régissait tout cela. Enfin, il y avait aussi tous ces commerces illicites. Des choses nous échappaient. Mais l’essentiel reste gravé en moi.
Nous allions également rue Catinat à Saigon. Catinat du nom de la corvette qui participa aux combats de Tourane puis de Saigon en 1859. La rue Catinat, c’était un condensé de notre présence en Indochine : une grande avenue, des hôtels de luxe, des magasins merveilleux, la pâtisserie Brodard, la boucherie-charcuterie Guyonnet, un jardin d’enfants immense. J’ai le souvenir de militaires sortant de l’hôtel Continental, de jeeps qui fonçaient sur l’avenue. D’élégantes femmes en robes superbes. J’étais adolescent et j’étais subjugué par toute cette magie. C’était un endroit merveilleux, la vie semblait facile et bien codée. Néanmoins, tout ceci restait inaccessible pour nous ».
Les Français sont contraints de quitter l’Indochine.
Après les accords de Genève de 1954, de nombreux colons français – même du sud Vietnam – quittent cette terre sur laquelle beaucoup sont nés.
William Bazé décide de rapatrier ses établissements et il crée de nouvelles institutions pour les garçons en Métropole : dans l’Eure, à Notre Dame de Vaudreuil, dans le Loir-et-Cher à Rilly, en Touraine à Semblançay, Vouvray et Tours, en Gironde à Blaye. Pour les filles, il ouvre un établissement à Saint-Rambert-en Bugey, dans l’Ain.
Arthur Saint-Gabriel : « Dans le cadre de la FOEFI, j’ai été emmené à Notre Dame de Vaudreuil, non loin de Louviers, dans l’Eure. Après plusieurs années d’études et d’internat, j’ai trouvé du travail. Je suis rentré chez Bronzavia et j’y ai mené la majeure partie de ma carrière professionnelle. Puis je me suis marié et nous avons eu quatre enfants. »
L’enfance orpheline en Indochine.
Au cours d’un discours prononcé en 1983, William Bazé rappelle les conditions d’implantation de la présence française en Indochine et l’œuvre considérable des Missions chrétiennes : « Bien que nous connaissons tous l’histoire de l’Indochine, je crois nécessaire de rappeler comment la présence française prit naissance sur le sol indochinois.
Ce sont les Pères des Missions étrangères qui commencèrent à faire connaître le nom de notre pays. Ils créèrent des missions prospères trois siècles avant que Paris ne cherche à entrer en relations officielles avec les souverains de l’Empire d’Annam. Plus tard, quand les empereurs Thieu Thi et Tu Duc s’en prirent à ces religieux, Napoléon III envoya un corps expéditionnaire. Les jeunes soldats français eurent des relations avec des femmes du pays. De ces unions mixtes naquirent les premiers métis franco-indochinois que leurs pères, militaires de carrière, étaient contraints d’abandonner au gré de leurs mutations, ne pouvant les emmener avec eux. Il y eut, certes, de grands déchirements affectifs mais il était impossible de les prévenir et difficile de les guérir.
Les mères autochtones entouraient leurs enfants d’une profonde affection mais elles ne pouvaient pas toujours leur donner les coins dont ils avaient besoin, ni l’éducation souhaitable. Les missionnaires portaient secours aux eurasiens mais le nombre croissant des enfants abandonnés dépassait leurs moyens. Les pouvoirs publics comprenaient parfaitement qu’il y avait un problème nuisant au prestige de la France. La situation incita les Missionnaires à faire appel à des Œuvres religieuses de France pour qu’elles viennent s’installer en Indochine ou elles se préoccupèrent avec courage du sort des enfants abandonnés, tandis que sur le plan local des hommes de bonne volonté créaient des associations laïques poursuivant le même objectif ».
Aujourd’hui.
Des enfants recueillis et élevés dans le cadre de la FOEFI ont aujourd’hui créé des sites internet qui rappellent cette aventure : http://pmberyl.free et www.foefi.net . Ils y racontent leur jeunesse, parlent avec amour et passion de la FOEFI et cette Indochine, mythique, rêvée, mais si présente en leur cœur.
Anouck de Winter : « Ancienne de la FOEFI, je dois ma vie comme tant d’autres eurasiens rapatriés en France après la défaite de Diên-Biên-Phù, à Monsieur Bazé. J’aimerais rappeler que Madame Marguerite Graffeuil, qui fut ma tutrice si aimée et si pleine de compréhension, de tendresse malgré tous les fils à retordre que je lui ai donnés, était la référence pour les filles de la FOEFI. Bien que nous ayons été toutes pour la plupart d’entre-nous, « adoptées – parrainées » par des familles françaises, nous venions dans les bureaux de la FOEFI régulièrement pour les évaluations scolaires. En fait, j’avais une peur bleue de Monsieur Bazé qui faisait les gros yeux lorsque les notes scolaires étaient pitoyables. Grâce à ces deux êtres d’exception, j’ai atteint un niveau social en évoluant dans la vie grâce aux codes de moralité qu’ils nous ont inculqué. Je ne les oublierai jamais. Mes enfants ont hérité du patrimoine spirituel qui nous a été transmis, ils prennent la relève pour perpétuer à leurs enfants les mêmes valeurs que nous avons reçus en étant « Eurasiennes de la FOEFI ». Merci… Vous restez à jamais dans nos cœurs ».
Au centre de la FOEFI de Cholon.
Sources :
http://pmberyl.free ; www.foefi.net : sites d’anciens de l’association FOEFI.
Ville de Courbevoie : www.ville-courbevoie.fr.
Film de Philippe Rostan, Inconnu présumé Français.
Site internet de France Télévisions, chaîne France O : www.franceo.fr
Site internet des biographies des Français libres : www.francaislibres.net
Entretiens Arthur Saint-Gabriel, octobre 2010- octobre 2011.