"Un petit boulonnais dans la guerre".

Publié le 14 Avril 2011

"Un petit boulonnais dans la guerre".

Daniel Jouin, président du comité du Souvenir Français de Boulogne-Billancourt a recueilli le témoignage de Monsieur Jacques Dubois, maire-adjoint honoraire de la ville.

 

 

« La découverte récente d’une bombe de 500 Kg non explosée à Billancourt nous rappelle que la ville a subi plusieurs bombardements très meurtriers durant la Seconde Guerre mondiale. Présent dans la ville pendant toute la guerre j’en garde un souvenir très précis.

 

J’avais dix ans à la déclaration de guerre le 3 septembre 1939. On s’y attendait depuis la signature du pacte germano-soviétique qui laissait les mains libres à Hitler pour envahir la Pologne et poursuivre sa conquête de l’Europe. On ne parlait que de cela sur les plages des vacances et, nous, les enfants, nous comprenions très bien la menace que cela représentait. Dès la déclaration de guerre à l’Allemagne (suite à l’invasion de la Pologne) on s’attendait à ce que les centres industriels de France et d’Angleterre soient bombardés et il était prévu d’évacuer les enfants vers la campagne. Pour Boulogne-Billancourt un plan d’évacuation était organisé vers la Creuse. Mon frère et moi avons été accueillis par une tante dans sa propriété de Normandie ».

 

« N’oublie pas ton masque à gaz ».

 

« Aucune menace ne s’étant réalisée, nous avons regagné notre appartement de la rue Paul Bert et repris le chemin de l’école de la rue de Billancourt à la rentrée du 1er octobre 1939 avec notre masque à gaz.

 

 

En effet, la Grande guerre ayant inauguré l’emploi des gaz asphyxiants, tous les pays en guerre se préparaient à cette éventualité et les populations civiles des centres urbains avaient reçu des masques à gaz. Je me souviens très bien quand j’ai été chercher le mien avec ma mère et mon frère au poste de secours organisé dans le sous-sol de la mairie. Ce masque (made in Tchécoslovaquie, alors occupée par le Reich !) non seulement puait le caoutchouc mais nous donnait, comme à l’avance, une tête de mort.

 

Nous ne devions pas nous séparer de la grande boite en fer qui le contenait et que nous emmenions avec notre cartable à l’école. Nous ne réalisation pas vraiment la menace que supposait cet engin de guerre. Comment penser que des gens pouvaient imaginer de tuer par gaz des petits écoliers pacifiques ? Si les bombardements aux gaz des populations civiles n’ont pas eu lieu, les gaz ont servi à l’extermination des juifs et résistants dans les camps nazis.

 

Le premier bombardement, vécu comme écolier, est un raid de l’aviation allemande sur les usines Citroën en juin 1940. Nous étions en classe lorsque la sirène retentit. C’est sagement, en rang que nous nous sommes dirigés vers les abris qui étaient prévus pour les élèves de l’école Billancourt, dans le square Henri Barbusse sur l’emplacement actuel de la patinoire et de la piscine. Ces abris étaient de simples tranchées recouvertes de dalles de béton qui n’assuraient qu’une illusoire protection contre les bombes. Le dimanche suivant nous sommes allés en famille voir les dégâts occasionnés surtout à Paris. L’avenue de Versailles avait été particulièrement touchée et offrait un spectacle de destruction que nous avons vu à Boulogne-Billancourt lors des bombardements suivants.

 

Après le retour à une certaine tranquillité en 1941, nous, les enfants, avions repris une vie d’écolier presque normale. Le masque à gaz restait à la maison. Nous souffrions de dures restrictions et le ravitaillement nous obligeait à de queues interminables et pénibles dans le froid. Nous pensions que la guerre nous avait oubliés ».

 

Le 3 mars 1942.

 

« Ce fut donc une brutale surprise quand, le 3 mars 1942 vers 21 heures, le hurlement sinistre des sirènes placées sur la terrasse de la mairie nous fit prendre le chemin des caves et des abris. Nous étions réfugiés dans notre immeuble du 21 rue Paul Bert qui accueillait aussi, outre les locataires, des habitants du quartier.

 

Immédiatement après la sonnerie de l’alerte les premières vagues de bombardiers larguaient leurs bombes à basse altitude, par vagues successives. Dans l’abri, non éclairé, régnait une lourde angoisse. A chaque série d’explosions on rentrait la tête dans les épaules en attendant la vague suivante. Personne ne parlait on n’entendait seulement des prières et des «Je vous salue Marie » que récitaient certains. Quand la vitrine de la boutique non loin de nous s’effondra à grand bruit de verre brisé, on cru notre dernière heure venue. Après plus de deux heures le bruit des avions cessa et on pu regagner son logement mais la ville retentissait de sirènes d’ambulances et de voitures de police.

 

Le lendemain matin mon frère et moi nous nous présentâmes à l’école rue de Billancourt comme d’habitude. Mais l’accès nous était interdit par un soldat allemand casqué et armé d’une mitraillette car des bombes étaient tombées sur l’école et les élèves devaient être accueillis dans d’autres écoles. C’est ainsi que j’ai été affecté à l’école de la rue Fessart pendant plusieurs mois.

 

Nous avons parcouru la ville pour constater les dégâts. Des immeubles entiers étaient effondrés. C’était notamment le cas d’un grand immeuble de la rue de Paris dont les habitants étaient encore sous les décombres. On disait que certains avaient été noyés par l’eau des gazomètres qui avaient été détruits près du pont de Sèvres. L’hôpital Ambroise Paré était rasé. La petite église de Billancourt qui datait de l’Empire était en ruine.

 

Ce fut le premier bombardement en France occupée par les alliés. Il en eu bien d’autres par la suite ».

 

Le 4 avril 1943.

 

« Un an après, le 4 avril 1943, Boulogne-Billancourt subit un autre grand bombardement effectué, celui-là par l’aviation américaine et en plein jour par un beau dimanche après-midi. Après le bombardement du 3 mars 1942 une grande partie de la population avait quitté Boulogne-Billancourt pour se mettre à l’abri mais il restait encore de nombreuses familles sur place.

 

Le bombardement nous surpris rue de l’ancienne Mairie, devant l’église Sainte-Thérèse, où la troupe scoute se préparait pour une sortie au parc de Saint-Cloud. Il ne dura que quelques minutes comme si les équipages qui volaient à haute altitude étaient pressés d’échapper à la défense antiaérienne. Elle s’était d’ailleurs considérablement renforcée depuis le bombardement de 1942.

 

La bombe qui tomba près de l’église à quelques dizaines de mètres de moi me précipita dans la crypte. Elle éclata heureusement dans la terre meuble du jardin du curé en faisant un entonnoir énorme mais ne tuant miraculeusement personne. Toute la troupe s’était réfugiée dans la crypte sous le clocher avec les prêtres de la paroisse.

 

Hélas ce bombardement coûta la vie à notre mère qui périt dans le hall d’un immeuble du boulevard Jean- Jaurès où elle avait cherché refuge et où périrent plusieurs personnes. Notre père, quant à lui, échappa miraculeusement à la mort. Les dommages furent considérables en pertes humaines et beaucoup de Boulonnais quittèrent définitivement la ville. Il y eut encore plusieurs bombardements en septembre 1943 puis ils cessèrent. Les alliés préférant, dans la perspective du débarquement, choisir des cibles ferroviaires.

 

Entretemps j’avais intégré le lycée Jean-Baptiste Say à Auteuil où les cours étaient fréquemment interrompus par les alertes aériennes qui nous contraignaient à gagner les abris situés dans les caves des grands immeubles du quartier et ce, parfois plusieurs fois par jour. Puis les cours s’espacèrent jusqu’au printemps 1944 où on commençait à voir circuler des pistolets et autres révolvers de cartables en cartables à la barbe des miliciens cantonnés rue d’Auteuil.

 

Un détachement de la Division Leclerc entré dans Boulogne par le pont de Sèvres nettoya la ville des éléments de SS qui s’étaient retranchés dans les ruines de l’hôpital.

 

Les Boulonnais étaient libérés.

 

Plusieurs des aînés des scouts routiers de Billancourt, et habitant notamment dans la cité du Point du Jour (aujourd’hui Pierre Grenier), s’engagèrent immédiatement dans la 2ème DB qu’ils accompagnèrent au Bourget où de durs combats se déroulèrent après la libération de Paris. Malgré leur inexpérience, ils furent de vaillants combattants, certains obtenant même la Croix de guerre au feu.

 

Je veux rendre hommage à ces camarades scouts dont on a oublié le courage ».