En Kabylie, par Philippe du Terrail.
Publié le 18 Mai 2014
Arrivée en Algérie.
« Ce dimanche matin le bruit d’une étrange animation, qui me rappelait le souvenir du milieu familial, me réveilla et ouvrant les yeux, j’aperçus des lits superposés, des uniformes et des havres sacs pendus pêle-mêle me confirmant que j’avais dormi en réalité au Dépôt des Isolés Militaires d’Alger.
Quelques semaines auparavant, en rentrant au Quartier Pajol-Champrosay, caserne du 1er R.A.Ma (régiment d’artillerie de marine) à Melun, d’un stage de spécialisation, le capitaine s’étonnait de me voir, alors que la batterie était partie en Algérie. Je prenais donc une permission puis je ralliais le camp Sainte Marthe d’où j’embarquais sur le « Ville d’Alger ».
Ce n’était pas sans appréhension, que les appelés se retrouvaient sur les quais de la Joliette avec armes et bagages avant de monter à bord. Je m’installai sur le pont, il faisait déjà beau en ce jour d’avril et regardai les côtes de France disparaître à l’horizon.
Au petit matin, Alger la Blanche se découvrait dans la grisaille du lever du jour avec au cœur une interrogation quant à l’incertitude sur l’avenir.
J’errais plusieurs jours dans le D.I.M. Je fis la connaissance d’un « gus », rapatrié sanitaire, qui avait été grièvement blessé dans le secteur de Palestro. Enfin, je reçus mon affectation pour Tizi Reniff que je devais rejoindre par mes propres moyens. Le guichetier de la gare me vendit un billet pour Dra el Mizan en me précisant de descendre à la station Aomar !
Après la patrouille des C.R.S., le train quitta Alger et bientôt le paysage grandiose de la plaine de la Mitidja se laissa admirer dans ses couleurs, avec des orangers à perte de vue au pied de collines sombres qui fermaient l’horizon. Je me sentais rassuré car je remarquais un poste militaire dans chaque gare du parcours. Le train longeait alors l’oued Isser et traversait les sinistres gorges de Beni Amran avant d’arriver à Palestro. Le 18 mai 1956, dix-neuf appelés du 9e régiment d'infanterie coloniale avaient été tués et massacrés dans une embuscade.
Enfin, le train arriva à Aomar. La station était située en plaine, à l’écart de toute agglomération. Le quai fut désert une fois le train reparti. On entendait parfois un âne braire. Et au loin apparaissait un poste isolé qui surveillait la région.
J’ai attendu plusieurs heures avant qu’un convoi sous escorte d’half-tracks n’arrive enfin. Dans les mois qui suivront, je ferai souvent cette protection du vaguemestre ou pour recueillir des nouvelles recrues.
La patrouille me conduisit à Dra el Mizan et de là je rejoignais Tizi Reniff où j’étais affecté à la 4e Batterie du 1/43ème RA (régiment d’artillerie) dans la 27ème DIA (division d’infanterie alpine), sur le piton Bégasse à 922 mètres d’altitude dans le djebel kabyle.
Le soir même le poste essuyait des coups de feu. Dans le noir de la mechta qui m’abritait pour la nuit, je fus envahi d’un étrange sentiment. D’abord, cela allait être comme cela pendant les deux ans à venir. Et ensuite, il fallait me blinder. Je décidai de rompre avec mon éducation pour assurer la mission qui serait maintenant la mienne. Cette attitude m’isolait de mes camarades qui s’accrochaient à leur vie de civils, mais me permettait de me protéger de toute agression extérieure. L’ennemi n’était pas franchement désigné car il ne pouvait y avoir d’état de guerre dans un département français. Mais il fallait cependant protéger des populations du terrorisme ».
En opération.
« Aux premières heures de ce matin de mai 1961, la section « intervention » est réveillée pour accompagner et protéger un convoi de troupe d’infanterie sur les lieux d’une opération montée dans le plus grand secret par l’état-major, afin de garder le maximum de chance de surprendre un commando fellaghas qui traverse le secteur de Dra el Mizan. Cette section est généralement chargée de la protection des autorités, des blessés, des convois et du bouclage des opérations.
Un half-track, composé d’un équipage de six hommes et armé de mitrailleuses de 12.7 et de 30, prend la tête du convoi. Les véhicules roulent en black-out (NB : tous feux éteints), pour ne pas être repérés et les chauffeurs se guident sur les carrés blancs peints sur les camions. Un second half-track avec la radio ferme la marche. La progression est lente dans la nuit. Le regroupement se fait au départ de la piste de la S.A.S. de Pirette sur la route de Boghni et qui conduit dans la forêt du Bou Mahni.
La mise en place doit se faire dans le plus grand silence. Mon groupe qui assure la protection de cette mise en place aperçoit subitement, dans le jour qui se lève, des ombres qui se découpent sur la crête. L’instant de surprise passé, il s’agit d’une section de chez nous que nous avons failli prendre pour des « fells » si elle n’avait pas fait autant de bruit !
Un message me parvient : il faut appeler le garage car un chauffeur a versé volontairement son Dodge 4x4 dans un ravin en prévenant les hommes de sauter. La rumeur a couru qu’il a eut peur de participer à cette « opé ».
Le ratissage du secteur dure plusieurs heures. Le « crapahute » se fait dans un maquis sous le soleil. La gorge est sèche, les tempes battent, les pieds humides de sueur dans les pataugas. Parfois, il faut monter des pentes raides. Un foulard de couleur, attaché au cou dès un premier coup de feu, permet de se reconnaître. Vers 16 heures, le commando est accroché : une grenade vient soudainement d’exploser en pluie au-dessus de la pièce F.M. dont le chargeur est sectionné et les pourvoyeurs sont blessés par les éclats. Les « fells » sont cernés mais difficile à déloger. Aussi, l’aviation est-elle appelée à la rescousse pour les mitrailler. En fin de compte, un bidon de napalm est largué mettant le feu aux broussailles. On dénombrera 14 tués carbonisés parmi les HLL (hors la loi).
Il nous faut, lors du décrochage, en fin d’opération, rester vigilant pour parer à toute réaction adverse au moment de rembarquer dans les camions.
Ce jour-là, il y avait près de deux cents hommes sur le terrain pour un résultat qui peut paraître mince. Mais voilà l’exemple type de cette guerre d’embuscades, d’attentats et de désinformation, car quelques jours auparavant, nous étions huit seulement à accompagner l’officier de renseignement venu en repérage de ces lieux sauvages, décrétés « zone interdite », dans la perspective de cette opération ».
Philippe du Terrail est membre du Souvenir Français de Bois-Colombes.