Le sergent Pagnard de Chaville : de Cao Bang au Camp n°1.
Publié le 8 Décembre 2010
Convoi sur la RC 4 (copyright ballades.free)
Les bataillons coloniaux de commandos parachutistes.
Guy Pagnard nait le 21 janvier 1927 à Rouvraye- en-Santerre dans le département de la Somme. Il s’engage dans l’armée et part en Indochine où il est affecté, en tant que sergent, au 3ème GCCP (groupe colonial de commandos parachutistes). Les bataillons de parachutistes coloniaux sont pour la plupart créés à l’issue de la Seconde Guerre mondiale. C’est le cas du 3ème BCCP (bataillon colonial de commandos parachutistes) qui débarque à Saigon le 9 novembre 1948. Quelques jours plus tard, l’unité s’installe à Haiphong et prend part aux opérations de rétablissement de l’autorité française : des compagnies œuvrent en Cochinchine tandis que d’autres sont placées pendant un temps au Cambodge. Puis elles sont regroupées pour participer aux opérations d’envergure comme Junon, Anthracite, ou Diabolo.
Le désastre de la RC4.
La RC 4 est la Route Coloniale n°4. Elle suit la frontière chinoise entre Cao Bang – au nord – et Lang Son – au sud – et passe par des localités comme Dong Khé et That Khé. Son tracé date de la conquête du Tonkin au 19ème siècle. Ce n’est pas vraiment une route mais plutôt une piste, large en certains passages, de quelques mètres seulement. Empierrée, elle n’autorise que le va-et-vient de camions et de véhicules de type blindé léger. L’itinéraire est sinueux. Il passe par des cols escarpés et des gorges, encadrées de massifs rocheux, appelés calcaires. Pour la plupart, les ponts et autres ouvrages n’ont pas été refaits depuis près d’un demi-siècle. Et c’est un coupe-gorge ! La région est le terrain de jeux idéal pour les brigands connus autrefois sous le nom de Pavillons noirs, des trafiquants d’opium, des réfractaires de tout poil. Bien sûr, depuis le début de la guerre d’Indochine, le Vietminh prend plaisir à placer des hommes tout en haut des calcaires : les convois sont des cibles parfaites.
En 1949, le général français Revers, chef d’Etat-major de l’Armée de terre, fait une visite de la zone. Constatant que le ravitaillement des postes et des garnisons s’avère démesuré tant d’un point de vue matériel que du coût en vies humaines, il propose un plan d’évacuation des villes et des postes de la RC4. Revers s’oppose aux généraux Carpentier, chef du Corps expéditionnaire et Alessandri, qui dirige la région. Le plan est plusieurs fois reporté, jusqu’au moment d’une attaque éclair vietnamienne.
En mai 1950, la Brigade 308 du Vietminh prend d’assaut de la bourgade de Dong Khé et l’occupe en quelques heures. La France vient de comprendre qu’il y a un monde entre les bandes de révolutionnaires communistes de 1946 et cette brigade puissamment armée par la Chine et dotée d’une artillerie digne de ce nom. Mais, le 27 mai, le 3ème GCCP du commandant Decorse est parachuté et, aidé du 10ème tabor marocain, arrive à reprendre le poste. La situation semble stabilisée. L’Armée française décide enfin l’application du plan et l’évacuation de Cao Bang est prévue pour le début du mois de septembre 1950. Mais il ne s’agit pas d’une opération simplement militaire : l’armée ne veut pas abandonner les tribus anti-vietnamiennes des minorités du Tonkin et tous les civils qui se sont ralliés à elle. A grand renfort de dynamitage des matériels qui ne peuvent être emportés, avec des femmes, des enfants, des vieillards, l’opération tourne à l’exode.
RC 4 (Copyright ECPAD).
Elle est confiée au colonel Constans qui commande le secteur depuis Lang Son. C’est-à-dire très loin de la zone même des opérations. Le succès de l’évacuation repose sur le recueil de la colonne de Cao Bang du colonel Charton par la colonne du colonel Lepage, lui-même venant de Lang Son. Au même moment, le poste de Dong Khé est à nouveau attaqué, et pris, par les bodoïs. Le plan du général Giap, chef militaire du Vietminh, fonctionne parfaitement : le colonel Lepage commence par porter secours aux légionnaires qui défendent Dong Khé. Puis, apprenant que la colonne Charton a quitté Cao bang, le colonel Lepage, alors qu’il est dans une position critique, décide de remplir sa mission initiale. Il lance ses hommes à travers la jungle afin de récupérer la colonne Charton. Dans le même temps, plutôt que de rebrousser chemin, la colonne Charton, lassée d’être harcelée par les bodoïs, progressant avec une lenteur infinie sur des pistes déformées par les pluies, finit par abandonner ses matériels et équipements et applique l’ordre de défendre la colonne Lepage durement touchée par la guérilla.
C’est une catastrophe. Sortant des routes, les hommes du CEFEO (Corps Expéditionnaire Français en Extrême-Orient) sont massacrés par les troupes communistes vietnamiennes. Face à cinq-mille soldats français et partisans se trouvent plus de vingt-mille ennemis, qui connaissent parfaitement le terrain. Se sentant perdus, les officiers français donnent l’ordre de constituer de petites unités afin qu’elles puissent, par chance, s’exfiltrer des griffes du Vietminh. Les troupes aéroportées du 1er BEP et du 3ème BCCP sont anéanties : le bataillon colonial a deux-cent-quarante-trois tués sur un total de deux-cent-soixante-huit paras. Finalement, du total des troupes françaises engagées, seuls douze officiers et quatre-cent-soixante-quinze soldats parviennent à regagner That Khé, camp qui sera lui-même évacué quelques jours plus tard, dans des conditions tout aussi dantesques. Le 17 octobre, le colonel Constans quitte précipitamment la zone sud de la RC4. Il permet aux bodoïs de trouver de quoi équiper toute une division.
Prisonnier, le sergent Pagnard est emmené dans un camp d’internement du Vietminh. Il s’agit du Camp n°1.
RC4 – Région de Cocxa.
Au Camp n°1.
Le Camp n°1 se trouve dans le Haut Tonkin, au cœur de la vallée de la rivière Song. Ancien secrétaire d’Etat à la Défense, prisonnier au Camp n°1, Jean-Jacques Beucler, dans Le Camp n°1 et ma libération a écrit : « Le camp comptait environ 150 officiers et sous-officiers supérieurs. Ces prisonniers étaient pratiquement tous blancs. Il faut savoir que ce camp, comme la plupart des autres d’ailleurs, n’était pas entouré de fils de fer barbelés, ni surveillé par des sentinelles et des miradors. (…) En fait, une évasion était quasiment impossible : jungle épaisse, relief accidenté, faiblesse physique des prisonniers, vigilance de la population, éloignement des premiers postes français ».
Jean Pouget – qui connaîtra le Camp n°1 après Diên Biên Phù en 1954 – ajoute (Le Manifeste du Camp n°1) : « Les lavages de cerveau sont quotidiens, sournois, lancinants, à tout propos. Les corps et les esprits affaiblis offrent moins de résistance. Les perfides méthodes vietminh qui dosent savamment les tortures morales, les espoirs, les déceptions, les brimades en tous genres brisent les plus forts qui capitulent parfois, résignés. C’est alors le désespoir. Les bien-portants deviendront malades, les malades grabataires et les grabataires mourront. Un engrenage. Les pertes sont évaluées à 70 % ; mauvaise alimentation ; béribéri ; dysenterie ; les types se vidaient, parfois en une seule fois. Pas d’hygiène ; pas de médicaments ; au Camp n° 1 c’était différent car il y avait des médecins dont Amstrong qui a sauvé plusieurs types. On ne buvait pas d’eau crue ; on chassait les moustiques avec de la paille enflammée. La nuit, on boutonnait bien nos vêtements pour éviter les piqures. On passait tous les récipients à la flamme avant de manger ».
Dans une émission spéciale de France Inter (Patrice Gélinet) sur la guerre d’Indochine, un dirigeant du parti communiste vietnamien indique : « Dans ce Camp, nous avons deux conseillers français envoyés par le PC Français : André et Rolland. Il fallait comprendre la psychologie des soldats français. Ces conseillers étaient très utiles pour le Vietminh. Nous leur disions qu’il fallait la paix. Le peuple vietnamien a le droit à la liberté, a le droit de se défendre contre les ennemis de cette liberté. Alors que nous n’étions vus souvent comme une peuplade de barbares, et nous expliquions que nous avions une civilisation déjà quand l’Europe en était encore à l’époque du bronze. Nous parlons aux prisonniers de nos mœurs, de nos coutumes, de nos légendes. Nous sommes des hommes comme eux. Puis ensuite, nous parlions de marxisme sans en prononcer le nom ; c’étaient les leçons de Ho-chi-Minh. Par exemple, il ne fallait pas écouter la France, « Mère-patrie » qui exploitait les soldats. Ne pas se laisser faire ».
Globalement, au cours des neuf années de la guerre d’Indochine, près de quarante-mille soldats français sont faits prisonniers. Seuls, neuf-mille-trois-cent-quatorze sont rendus à la France en septembre 1954. La métropole que Guy Pagnard ne reverra jamais. Il meurt de maladie le 2 décembre 1950, moins de deux mois après son arrivée au Camp n°1.
Région de la RC 4 aujourd'hui (copyright vietnamtourism.com)